Chroniques

par françois cavaillès

récital du soprano Jeanine De Bique
avec Aaron Wajnberg au piano

Händel, Mozart, Purcell/Britten, Scarlatti et chansons caribéennes
Paris Sainte Chapelle Opera Festival
- 1er avril 2024
Récital du soprano Jeanine De Bique au "Paris Sainte Chapelle Opera Festival"
© mélanie florentina

Des vedettes de l’opéra en concert intimiste en plein Paris, dans un cadre historique merveilleux : le Paris Sainte Chapelle Opera Festival donne l’impression de faire sans bouger un grand voyage, beaucoup mieux qu’un touriste. Il y a si longtemps... 1248, murmurent les vitraux magnifiques de la Sainte-Chapelle, chef-d’œuvre monumental du gothique rayonnant que Louis IX fit ériger sur l’Île de la Cité pour conserver les saintes reliques de la Passion du Christ [lire notre critique de l’ouvrage de Charles-Yvan Élissèche, Le personnel musical de la Sainte-Chapelle de Paris]. Un joyau de l’opéra américain vient les compléter en ce lundi de Pâques, dans la splendeur sereine des lieux. Présenté au public venu en nombre par la cantatrice Fabienne Conrad, directrice artistique de l’événement [lire nos chroniques de Cinq-Mars, Les contes d’Hoffmann et La bohème], le soprano Jeanine De Bique brille dans un programme double, d’abord au sommet du baroque en tant que récente star du Metropolitan Opera de New York, puis avec le répertoire populaire de sa prime jeunesse écoulée à Trinité-et-Tobago, dans les Caraïbes.

Autant les sentiers de la gloire l’ont menée par Paris (à l’Opéra national et au Festival de Saint-Denis), autant la curiosité demeure face à une artiste aussi unique que son parcours et son talent [lire notre chronique de Moïse et Pharaon]. Alors que dire, sinon écouter et essayer de rendre compte de l’expérience singulière du lyricophile ? Tout commence par un la brève propulsion Tell me qui prélude une première œuvre, The Blessed Virgin’s Expostulation (1693) d’Henry Purcell dans une transcription de Benjamin Britten. Pour exprimer la terrible détresse de la Mère dépossédée, l’émission de feu rejoint très tôt la grande poésie pianistique dont Britten avait le génie, ici interprétée par Aaron Wajnberg, accompagnateur fort expérimenté. La douceur des lamentations alterne avec une rage, un grand débit furieux qui conviennent à une pièce sèche et ardue, plus joyeuse et sereine ensuite, juste avant une conclusion bien relevée de divine colère. Voilà pour les premiers pas originaux du récital d’une chanteuse aussi sincère que douée.

S’ensuit un impeccable Endless Pleasure, air extrait de l’opéra Semele (1743) de Georg Friedrich Händel. En accord avec le piano enjoué. Annoncée malade, Jeanine De Bique n’offre aucune des impressionnantes roulades des vocalises bien connues. La sensation de vagabondage plaît beaucoup, qui résulte sans doute d’un travail acharné depuis des années. Après la douce mélancolie d’une sonate de Domenico Scarlatti par Aaron Wajnberg, puis quelques tensions mais un timbre idéal pour l’Alleluia du motet Exsultate, jubilate (1773) de Wolfgang Amadeus Mozart, le retour à Händel avec Da Tempeste, de l’opéra Giulio Cesare in Egitto (1724), s’avère efficace. Une ovation salue même ce superbe accomplissement vocal d’une stabilité admirable. Parmi les rapides vocalises, la dernière est si bien dessinée et comme fondue dans le grave, qu’elle relève de l’exploit.

Au pied de l’arc-en-ciel, désormais, s’ouvre le trésor des chansons caribéennes d’antan, offert pêle-mêle à l’imaginaire parisien. Chacune est introduite par des souvenirs racontés de vive voix au milieu de la nef. Chacune apporte sa part de réconfort. Evening Time ressemble à une berceuse rafraîchissante, même d’une voix chaude. Il s’agit, toujours selon Jeanine de Bique, d’un working song jamaïcain au milieu des champs de coton, le soir auprès du feu après le dur labeur. Rosebud s’apparente à un gospel triste, puis de forme joyeuse, racontant en Jamaïque l’attente d’une jeune femme et son enfant qui cherchent à l’horizon le timo (steamboat, bateau à vapeur) et avec lui le retour du père parti à la guerre. Porté par un piano espiègle, le fort populaire Cutie pak chante, en patois, la faim grandissante d’un enfant puni dans un trou à même le sol et sous l’intense soleil, alors à la fois fâché et résigné, ce qui fait souffler un vent lyrique parfois doux mais encore étrange en la Sainte-Chapelle. Le calypso (danse antillaise) Morena Osha décrit pour sa part, dans un anglais lancinant, une belle jeune femme de l’île de Trinité, sa démarche chaloupée et l’ambiance gorgée de soleil. Plus lent et convenu, le spiritual On ma journey (Dans mon voyage) bénéficie d’une introduction émouvante quand Jeanine De Bique se rappelle d’un calypso festif composé à son intention par sa mère, et le chante en rimes faciles, enthousiaste et optimiste – « J’ai gagné la compétition avec ça ! », raconte-t-elle en riant. Enfin, après le sobre et fier Round about the mountain, entre gospel et blues, le spiritual His name so sweet a l’énergie d’une grande marche en avant qui parachève le récital... à moins d’un tout dernier spiritual plein d’espérance, en bis, pour de joyeuses Pâques : Ain’t that good news.

FC