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Chroniques
récital Andreï Korobeïnikov
Dmitri Chostakovitch et Modeste Moussorgski
Quelques semaines avant d'interpréter l'Opus 20 de Scriabine avec Dmitri Liss à la tête de l’ONF (11 mars, au Théâtre des Champs-Élysées) et l'étonnant Concerto n°5 de Rachmaninov – en réalité l'adaptation pour piano et orchestre qu'Alexander Warenberg réalisa tout récemment de la Symphonie Op.30 n°2 – avec l'Orchestre national de Montpellier que dirigera Alexander Vakoulski (22 janvier, au Corum), Andreï Korobeïnikov, vingt-trois ans, offre un programme redoutablement musclé s'insérant idéalement dans les concerts de la Saison russe du Louvre.
Et c'est par les Tableaux d'une exposition qu'il s'impose d'emblée, avec une Promenade initiale distinctement articulée où une main gauche comme il en est peu sculpte dans l'argile. À le regarder faire, on songe immédiatement à cette technique particulièrement phrasée d'un Timakine (celle dont Pogorelich héritait en ses premières années, par exemple). Osant heurter plus que de coutume le Gnome, Andreï Korobeïnikov souligne judicieusement toute la modernité de Moussorgski – un compositeur dont, ne l'oublions pas, les œuvres choquèrent si bien par des audaces prises alors pour des maladresses qu'on en devait confier la réécriture à des plumes au plus respectueux académisme. Certes, nous abordons au dernier quart du XIXe siècle, pourra objecter l'oreille la plus nostalgique, mais sans doute convient-il, à l'invite de cette interprétation parfaitement défendable, de s'interroger sur l'irrévérence du génie de l'auteur en son temps, un génie qui, indéniablement, louche fougueusement vers le siècle à venir. Sans conteste conviendra-t-il également de penser cette musique éminemment russe dans le contexte qui est le sien, celui d'un panslavisme volontiers radical qui tourna le dos à un passé récent par trop occidental.
Après unePromenade II à la tendresse lumineuse, le Vieux château se dessine en un recueillement dépourvu de pompe, sur une sonorité dignement équilibrée. Pesamente est indiquée la Promenade III, et c'est bien ainsi que nous la fait entendre le jeune artiste, un pesamente généreusement campanaire auquel s'enchaîne des Tuileries redoutablement piquées, un Bydlo aux processionnels tremblants, tandis que le Promenade suivante trouve en un aigu délicat toute la lumière de son choral. Moins rapide que d'habitude, le Ballet des poussins dans leur coque paraît cependant assez loin du Scherzino qu'il devrait arborer. Aussi le jeu de Korobeïnikov commence-t-il à s'empâter : Samuel Goldenberg et Schmuyle plus que mal léchés, trop corpulent Marché de Limoges et Catacombe cabotinée mènent immanquablement à une Cabane sur des pattes de poule bousculée où surviennent quelques accrocs. Rendu là, le pianiste, ne se reprend malheureusement pas, livrant une Grande porte de Kiev qui abolit tout relief à force d'en trop vouloir donner, dans le plus confus brouhaha.
En revanche, l'intégralité des Préludes Op.34 de Chostakovitch bénéficie d'une approche minutieusement soignée où chaque caractère est exquisément désigné, alternant les climats en favorisant tour à tour une scansion qui n'oublie point le lyrisme ou un chant qui ne perd pas d'oreille la possible danse, aussi satyrique puisse-t-elle s'avérer parfois. Cette superbe interprétation, où chaque pièce paraît soudain comme improvisée sous nos yeux, se conclut dans un Prélude et figue Op.87 n°24 à la saisissante polyphonie qui nous fait retrouver l'excellent musicien entendu cet été [lire notre chronique du 24 juillet 2009] !
BB