Chroniques

par laurent bergnach

Quatuor Zemlinsky
œuvres de Dvořák, Janáček et Suk

Festival de Radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon / Corum
- 10 juillet 2012
Le Quatuor Zemlinsky joue des œuvres de Dvořák, Janáček et Suk
© dr

Formés auprès de Walter Levin (Quatuor Lassalle) et de Josef Klusoň (Quatuor Pražák), les membres du Zemlinsky perpétuent depuis 1994 la tradition du quatuor à cordes de Bohême, avec nombre de partitions germaniques et slaves à leur répertoire – un engagement dont rend indéniablement compte le programme du jour, donné devant un public venu nombreux, comme c’est souvent le cas à Montpellier, ville qui, grâce à la gratuité de rendez-vous donnés ailleurs qu’au fond d’un parc venteux ou dans l’acoustique nauséeuse d’une église, sut fidéliser l’autochtone.

Comme le rappelle Bernard Fournier dans un ouvrage collectif sur les écoles musicales aux XIXe et XXe siècles (L’harmonie des peuples, Librairie Arthème Fayard, 2006), Antonín Dvořák (1841-1904) a écrit pour ensemble à quatre cordes tout au long de sa carrière, laissant un catalogue de quinze œuvres (dont une inachevée), à l’instar de Schubert. Entre 1862 et 1875, sept premiers ouvrages apparaissent, qui intéressent l’auditeur « par l’imagination brute dont ils témoignent, par la qualité de leur matériau mélodique et par la réussite particulièrement convaincante de certains passages ». Bien que n’ayant pas l’engagement d’un Smetana dans la cause tchèque, Dvořák glisse pourtant çà et là des emprunts populaires (tel le chant nationaliste Hej, Slované, soutenant le scherzo du Troisième). Cet apprentissage conduit à la création de quatre nouvelles partitions chambristes (1876-1881) dans lesquelles le compositeur atteint à une plénitude de style, balançant entre tendances viennoises (n°9 et n°11) et nationales (n°8 et n°10) – stimulées alternativement par des rencontres avec Brahms et Janáček. Puis, le genre est délaissé pendant plus d’une décennie, jusqu’à ce que le créateur du Jakobín (1889) y revienne pour léguer trois chefs-d’œuvre d’équilibre sonore (1893-1895), aujourd’hui les plus joués (n°12, n°13 et n°14).

Comptant une dizaine de minutes écrites entre le 7 et 9 octobre 1880, Mouvement de quatuor en fa majeur (Quartettsatz B 120) serait la première ébauche du Onzième Quatuor, commande du violoniste et chef Joseph Hellmesberger. Mais le travail est interrompu, sans doute parce que tenant plus d’une réminiscence de Weber que du surgeon purement tchèque attendu. Créée le 29 avril 1945 par le Quatuor Ondříček, cette page lyrique reflète la conception hédoniste de son auteur, toujours à bonne distance du tragique comme d’une légèreté superficielle. Elle développe une tendre vivacité pastorale – ponctuée par le côté bonhomme des pizz’ au violoncelle (Vladimír Fortin) – qui alterne plusieurs fois avec un genre d’assoupissement nocturne.

Joué le 25 novembre 1896 par le Quatuor de Bohême dont Josef Suk (1854-1928) [photo] resterait membre durant quarante ans, le Quatuor en si bémol majeur Op.11 n°1 suit de peu la création des ultimes partitions de Dvořák, professeur puis beau-père du violoniste. Bien que jugeant le piano plus à même d’exprimer ses sentiments, le compositeur choisit les cordes pour exprimer son bonheur amoureux avec Otilka. D’un lyrisme bucolique hérité de Vienne, l’Allegro moderato hésite entre ligne droite et arabesque, raisonnablement guilleret, dans une texture qui rappelle le jardin de rocailles. Plus franchement dansant, Intermezzo-Tempo di marcia avance avec tenue, jusqu’à s’écheveler soudain – d’autant plus d’avoir été corseté. L’Adagio ma non troppo donne l’impression d’une lassitude sans déprime, à l’image d’une convalescence ou d’une lutte un peu vaine. Le son plein et crémeux de l’altiste Petr Holman en profite pour se révéler, tandis que le côté brillant de František Souček, premier violon taquin, illumine la danse mi-sauvage, mi-salonarde de l’Allegro giocoso.

L’amour, toujours…
Car on sait qu’il faut lire celui de Leoš Janáček (1854-1928) pour la jeune Kamila Stösslová, essentiellement épistolaire, dans le Quatuor n°2 « Lettres intimes », créé à titre posthume en septembre 1928 par le Quatuor Morave, quatre ans après un premier essai dans le domaine [lire notre chronique du 27 septembre 2008]. « Notre vie y sera incluse, écrit le septuagénaire dans une des deux mille lettres échangées. […] Dans cette œuvre, je serai toujours avec toi. » D’emblée, le Zemlinsky livre une âpreté inédite au programme, qui renforce d’abord le climat d’inquiétude et de mystère de l’Andante – qu’entretient de fréquentes inserts solistiques – puis un autre pétri d’indécision et de sautes d’humeur. L’Adagio apporte un apaisement digne d’une berceuse, que le second violon (Petr Střížek) oriente vers une nouvelle direction, tandis que le Moderato évoque un chant folklorique sombre et grave, finalement déchaîné. Dans une clarté qui met en valeur chaque pupitre, l’Allegro final livre des contrastes en écho au premier mouvement, des tutti exaltés où percent la passion, voire l’humour du compositeur.

LB