Chroniques

par laurent bergnach

lettres intimes, réponses brûlées...
Leoš Janáček par le Quatuor Diotima et Garth Knox

ProQuartet / Opéra national de Paris, Amphithéâtre Bastille
- 27 septembre 2008
Leoš Janáček par le Quatuor Diotima et Garth Knox
© dr

En mai 1993, au micro de Radio France, le compositeur Gérard Grisey constatait : « [...] qu’on aille de Ferneyhough à Tristan Murail, ou dans ma musique ou celle de Donatoni et d’autres compositeurs, on voit toujours beaucoup de notes ; il y a énormément de notes. Et je me dis : est-ce que je vais réussir progressivement à enlever toutes les notes qui ne servent pas, jusqu’à trouver celles qui soient absolument nécessaires. Ça, c’est une démarche de longue haleine, évidemment, mais là, pour moi, Janáček est un véritable modèle, bien sûr » (in Ecrits ou l’invention de la musique spectrale, Éditions FM, 2008).

Faut-il voir dans cette économie de moyens, non dénuée de charge affective, l’intérêt à se pencher sur des pièces des années trente que trouvent des quartettistes entendus dans Crumb, Nono ou Lachenmann ? Ce serait oublier, d’une part que le Quatuor Diotima a également joué Schönberg, Debussy et Durosoir (sans parler des romantiques), d’autre part la modernité d’un Janáček, à l’instar de Bartók ou Stravinsky. Ne présumons pas de motivations qui n’appartiennent qu’aux musiciens, et disons juste que ce récital d’ouverture de la saison ProQuartet est lié à la programmation parisienne de La petite Renarde rusée à l’Opéra Bastille et à la sortie d’un disque consacré au natif d’Hukvaldy (Alpha 133).

Commande du Quatuor de Bohème honorée du 30 octobre au 7 novembre 1923, le Quatuor à cordes n°1 doit son sous-titre Sonate à Kreutzer à la célèbre nouvelle de Tolstoï dont l’influence avait déjà conduit à l’écriture d’une partition pour trio (aujourd’hui disparue), en 1909. L’Andante y propose une balance continuelle entre nostalgie et inquiétude, rugosité et transparente, tandis que l’Adagio hésite entre folklore et ambiance gothique. Le mouvement Moderato voit le second violon et l’alto entraîner les autres instruments dans une folle tourmente, avant de préparer à l’harmonie retrouvée qui imprègne le Con moto.

En 1928, abordant l’écriture de son Second Quatuor, Janáček remplace l’alto attendu par une viole d’amour. C’est à l’issue d’une première répétition avec le Quatuor Morave que le compositeur renonce à cette idée harmoniquement périlleuse. La mort du créateur ayant empêché une réécriture définitive, l’œuvre laisse perplexe ceux qui l’abordent, et notamment Diotima qui se trouve en présence de deux versions : celle de František Kudláček (premier violon de la formations créatrice) et celle de Milan Škampa (réviseur à la fin des années soixante-dix).

Afin d’illustrer les différences de tempo, de nuances, de rythmes ou d’harmonie rencontrées chez l’un et l’autre, les musiciens offrent au public un atelier-découverte des plus intéressants, quoique un peu long. Ils jouent également le premier mouvement dans sa version originale pour viole d’amour, avant de livrer son intégralité après l’entracte, dans la version récente – et sans doute définitive – des éditions Bärenreiter. Entre chacun des épisodes de ces Lettres intimes, écrites pour les quatorze cordes de son instrument, Garth Knox a glissé des Réponses brûlées, imaginant ainsi le contenu d’un courrier que Janáček, à la demande de Kamila Stöslova, la muse de ses dernières années, détruisit à regret.

LB