Chroniques

par nicolas munck

Quatuor Modigliani
Ludwig van Beethoven et Steve Reich

Festival de Radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon / Corum
- 18 juillet 2014
l'excellent Quatuor Modigliani joue Reich et Beethoven à Montpellier
© carole bellaiche

18 juillet, 18 heures. Échappons, pour quelques instants, à la fournaise montpelliéraine en nous précipitant vers l’oasis climatisé de la Salle Pasteur où retrouver le Quatuor Modigliani dans une proposition, détonante s’il en est, qui associe le Quatuor à cordes n°9 de Beethoven et les Different trains de Reich.

Contrairement à ce qu’annonçait la brochure de salle, c’est Beethoven qui ouvre cette proposition d’un peu plus d’une heure de musique. Dans un sourire largement partagé avec le public Philippe Bernhard, premier violon, s’en explique en affirmant que les Different trains plongent les interprètes dans un espace sonore tellement riche et généreux que le transfert vers Beethoven aurait semblé plus périlleux – « c’est dans l’intérêt de tout le monde », affirme-t-il. Si nous comprenons ce choix, qui préserve probablement qualité d’écoute et homogénéité de l’effectif sur l’ensemble du temps de concert, une entrée par Steve Reich nous aurait semblé toutefois plus parlante et percutante pour le mélomane de cette fin d’après-midi. Au delà d’une simple inversion chronologique (raison nullement suffisante), force est de constater que l’œuvre du minimaliste west coast nécessite une écoute peut-être plus active pour un spectateur non averti et, surtout, une attention préservée. C’est ainsi que sur les dernières minutes de la pièce, nous entrapercevons une perte de concentration et quelques départs anticipés.

En laissant trainer ses oreilles dans l’assistance au sortir du concert, on se rend compte à quel point cette page pourtant datée continue à décontenancer par son écriture et le dispositif déployé – au quatuor à cordes est associée une bande magnétique. Rendons donc grâce au Festival de Radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon pour ce choix de programmation manifestement nécessaire, qui porte toujours à la découverte. De cette version Modigliani, retenons un sérieux incontestable et le maintien d’une tension permanente dans une œuvre à la croisée du « divertissement et du drame » (pour reprendre les termes du musicologue Claude Abromont, dans le programme du jour). Malheureusement (peut-être est-ce lié à notre placement très latéral dans la salle…), les entrecroisements entre les trois quatuors virtuels (sur la bande) et le quatuor réel ne sont pas toujours effectifs.

Malgré ce léger désagrément de perception, nous admirons tout particulièrement phrasés et articulations de chacun des membres du Modigliani dans la mise en relation entre phrases déclamées et préenregistrées (« from Chicago to New-York », « no more school », etc.) et correspondances associées dans le traitement instrumental. Tout cela est très parlant ! Une question reste toutefois en suspend : finalement, l’œuvre est-elle parfaitement adaptée à une acoustique comme celle-ci ? Sur ce point, nous avions tout particulièrement apprécié l’environnement proposé au Quatuor Diotima dans le cadre de la dernière édition de La Folle Journée de Nantes [lire notre chronique du 2 février 2014]. En effet, la petite salle aux structures métalliques du Lieu Unique, non pensée pour le concert, offrait en définitive une forme de resserrement optimale entre quatuor et bande. La présente version n’en demeure pas moins de très belle facture.

La première partie s’ouvrait donc avec les trois mouvements contrastés du Quatuor en ut majeur Op.59 n°3 de Ludwig van Beethoven. Dédié au comte Razoumovski, d’où la présence de thèmes d’inspirations russes dans le matériau, les trois quatuors de cet opus marquent durablement l’oreille par leurs aboutissements parfois proches de l’univers du grand orchestre, tout en étant parfaitement inscrit dans la jubilation du divertissement en quatuor. Parfaitement assimilée et défendue par les Modigliani, cette ambivalence permanente se trouve portée avec beaucoup d’intelligence. Si l’Introduzione surprend par une certaine sécheresse, la sonorité gagne ensuite en opulence tout en ne perdant jamais de vue le contrôle et la justesse d’articulation. Dans le final (Allegro molto), où se joignent modernité du langage harmonique et fugue brillante, les quartettistes donnent à entendre toute l’étendue de leur virtuosité, dans une homogénéité toujours maintenue.

Notre prochain rendez-vous avec le festival : un programme Ravel placé sous la direction du jeune chef Santtu-Matias Rouvali – To be continued

NM