Chroniques

par nicolas munck

Quatuor Diotima
George Crumb et Steve Reich

La Folle Journée / Le Lieu Unique, Nantes
- 2 février 2014
Le Quatuor Diotima joue Crumb et Reich à La Folle Journée de Nantes
© dr

Rendez-vous du dimanche à l’heure du thé, avec la prestation du Quatuor Diotima, dans un programme d’un peu plus d’une heure également donné la veille. Bien qu’habitué au confort cosy de la salle Nabokov et de ses quelques cent-vingt places, nous longeons les quais de Loire pour nous rendre au Lieu Unique – ancienne usine du célèbre Petit Beurre transformée en scène nationale, depuis des années associée à La Folle Journée – et sa minuscule salle Steinbeck où coussins et banquettes se mélangent aux sièges. Bien qu’annoncé en début de programme, Different trains de Steve Reich, œuvre incontournable du festival, glisse en fin de concert, laissant la priorité au Black Angels (référence aux hélicoptères de l’armée américaine pendant la guerre du Vietnam) de George Crumb et au célébrissime, et légèrement gélatineux, Adagio (version originale extraite du Quatuor à cordes) de Samuel Barber.

Le Crumb constitue sans doute une belle entrée en matière. Renouvelant la disposition traditionnelle du quatuor (inversion violoncelle et alto), cette pièce propose un monde sonore captivant ou les instruments de percussions, parfois hétéroclites et toujours joués par les Diotima, se joignent aux cordes : tam-tam(s) joués avec archets, maracas, set(s) de verres accordés et joués avec archet(s) et/ou batte(s), sans oublier le recours à de nombreuses onomatopées percussives et modes de jeu sur le bois. Ce grand rituel profane, nécessitant une implication totale des instrumentistes, ravit le public qui semble émerveillé par la myriade de sons qu’on peut tirer d’un quatuor à cordes – notre voisin de devant ne s’en est probablement pas encore remis. Soulignons donc un excellent choix de programme bien mis en valeur par d’excellents musiciens – qui connaissent bien cet œuvres [lire notre chronique du 17 juin 2008] – et une prise de son en direct assurée par les équipes techniques de La Cité.

Vous vous doutez bien que nous attendons au tournant le Quatuor Diotima avant l’exécution du Barber ! De cet Adagio hymne quasi-officiel utilisé à chaque enterrement des présidents étatsuniens, que chaque mélomane ou/et amoureux de cinéma a forcément dans l’oreille, que peut-on faire ? L’option interprétative de nos musiciens est probablement la meilleure : une lecture simple, évidente, sans excès, débarrassée de tout artifice ; pas d’exagération de phrasés ou de surabondance d’expressivité sucrée. Juste la musique, le texte et les incroyables possibilités – passer de Crumb à Barber…il fallait oser ! – de cette formation accomplie. Le silence se fait et le public retient son souffle.

« L’idée de cette composition vient de mon enfance. Lorsque j’avais un an, mes parents se séparèrent. Comme ils me gardaient à tour de rôle, de 1939 à 1942 je faisais régulièrement la navette en train entre New York et Los Angeles. Bien qu’à l’époque ces voyages fussent excitants et romantiques, je songe maintenant qu’étant juif, si j’avais été en Europe pendant cette période, j’aurais sans doute pris des trains bien différents », Steve Reich : voici l’élément déclencheur de Different trains. Afin de rendre compte de cette idée, Reich élabore une pièce mixte pour quatuor à cordes et bande magnétique constituée d’enregistrements de la voix de sa gouvernante qui relate ces voyages entre New York et Los Angeles, d’un employé des wagons-lits et de rescapés de l’Holocauste. Plutôt que de diffuser l’intégralité de ces sources, le compositeur en choisit quelques fragments lui servant de matériau de base pour l’écriture instrumentale. Ainsi le traitement du quatuor cherche-t-il à retranscrire le plus fidèlement possible, les articulations et inflexions de chaque voix dans le tissu musical. Il en résulte une partition détonante dont l’expérience d’écoute ne laisse pas indemne, et portée avec beaucoup de justesse par le Quatuor Diotima.

Trois quatuors, trois programmes radicalement différents interprétés avec sérieux et détermination [lire nos chroniques des concerts Velasquez et Tana du 29 janvier 2014] : voilà qui offre un beau panorama, musicalement engagé, de quelques aspects et trajectoires de la modernité américaine.

NM