Chroniques

par laurent bergnach

Quatuor Arditti
centenaire John Cage

Cité de la musique, Paris
- 17 décembre 2012
John Cage par le Quatuor Arditti
© astrid karger

Avant l’achèvement de « l’année Cage » – et après des événements aussi variés qu’une exposition lyonnaise (Cage’s Satie : composition for museum), un récital poétique [lire notre chronique du 8 novembre 2012], la sortie d’un portrait filmé [lire notre critique du DVD] ou une nouvelle gravure des fameuses Sonates et interludes pour piano préparé [lire notre critique du CD] –, c’est au tour de la Cité de la musique de célébrer le centenaire de la naissance de l’Américain, lequel disparut voilà vingt ans, le 12 août 1992. La diversité est de mise, ici aussi, puisque ce John Cage Revisited convoque la danse (chorégraphie d’Olivia Grandville pour Cinq Ryoanji), le récital de piano (Francesco Tristano), la table ronde, la transcription funk et disco (notamment par Le Cabaret Contemporain, déjà présent à Musica [lire notre chronique du 27 septembre 2012] ainsi que le quatuor à cordes qui clôt le cycle.

Pour Music for Four, les membres du Quatuor Arditti sont répartis en trapèze dans l’espace : Lucas Fels (violoncelle) au centre du fond de scène, Ashot Sarkissjan au milieu de l’escalier qui jouxte le mur droit de la salle, Ralf Ehlers (alto) dans l’allée haute qui conduit à la sortie et Irvine Arditti à notre gauche, dans l’allée basse qui longe l’avant-scène – une autonomie des sources sonores qui a une résonnance sociologique, voire philosophique. Pour cette œuvre dédiée à la formation britannique, écrite en 1987 puis révisée l’année suivante, Cage reprend le principe de segments flexibles expérimentés avec Thirty Pieces for Five Orchestras (1981), soit ces time brackets (parenthèses temporelles) qui laissent une certaine liberté à l’interprète, à condition de respecter la durée de jeu indiquée en secondes dans chacune d’entre elle.

Il est toujours stimulant d’entendre un quatuor dont les instruments résonnent très rarement ensemble. Donnant l’impression d’une mosaïque un peu lâche, dont une bourrasque pourrait décrocher les fragments, la pièce paraît calquée sur l’attitude du violoncelle, avec son jeu monotone (on songe au vrombissement d’une sirène de paquebot) parcouru de quelques sursauts mafflus. L’ensemble oscille donc entre bercement, contemplation et silence, ce qui n’empêche des pics expressifs (alto plaintif, parfois criard) ni la caractérisation d’un second violon gentiment couinant, moins dans la réserve que le premier, plutôt ciselé. En ce qui nous concerne, les traits finaux de ce dernier, tout en délicatesse, sont gâchés par les ronflements voisins d’un critique musical connu… pour ses ronflements.

« Chez Beethoven, les éléments de la composition tendent vers la recherche de l’harmonie. Webern et Satie travaillent en revanche sur la notion de durée. » Lorsqu’il écrit ces mots, en 1970, Cage se souvient sans doute de l’impression laissée par l’écoute de la Symphonie Op.21 du Viennois, des années plus tôt, et dont String Quartet in Four Parts (créé le 12 août 1950) trahit l’influence. « L’ensemble dure 17 minutes ½ et n’est que dans un seul tempo ! » précise-t-il dans un courrier à Pierre Boulez qui vient d’achever son Livre pour quatuor [lire notre chronique du 10 décembre 2012], ajoutant « je serais terrifié de te montrer cette œuvre. Néanmoins, je l’aime ».

Contrairement à la déliquescence assumée avant l’entracte, la légèreté flûtée de Quietly Flowing Along met d’emblée l’auditeur face à une commune volonté de bâtir, tout en cherchant (peut-être) à déconstruire le modèle européen par des ruptures récurrentes. Slowly Rocking se fait plus fluide encore et plus disposé aux unissons. Occupant près de la moitié de la partition, Nearly Stationary donne successivement du relief au premier violon, au violoncelle puis au second violon. Enfin, Quolibet sacre de nouveau l’union des solistes, dans un climat résolument lyrique.

LB