Recherche
Chroniques
Les champs magnétiques de Jan Švankmajer
spectacle de François Sarhan
Comme chaque année, le festival Musica propose des spectacles pluridisciplinaires (voire des « expériences »), de moins en moins en marge des concerts traditionnels : opéra, ciné-concert, danse ou encore lecture. Avant-hier, en compagnie des musiciens du collectif Cabaret Contemporain – Fabrizio Rat (piano), Ronan Courty (contrebasse), Julien Loutelier (batterie), Giani Caserotto (guitare électrique) et Étienne Jaumet (synthétiseurs et responsable des arrangements) –, nous assistions à The John Cage Project, lequel revisitait des pièces percussives et rythmiques de l’Américain qui aurait eu cent ans cette année : In a Landscape, Living Room Music : « Story », Six Melodies, Suite for Toy Piano et Ryonji. Durant trois quarts d’heure, sous le regard des chorégraphes Pierre Boileau et Sabine Cornus, des danseurs parcoururent l’Aula du Palais Universitaire – où avaient résonné, l’an passé, les évocations cosmiques de Grisey [lire notre chronique du 22 septembre 2011] –, invitant les spectateurs, laissés debout (mais avec un bar à disposition, apparemment chiche en limonade…), à répondre avec leur corps à la transe entamée par les interprètes. La soirée se poursuivait avec deux autres projets : Dancefloor contemporain (90’) et DJ’s Set musique contemporaine (40’).
Aujourd’hui, c’est un hommage autrement passionnant qui nous attend au sortir du concert de Linea [lire notre chronique] : celui du compositeur François Sarhan (né en 1972) au réalisateur tchèque Jan Švankmajer. Né à Prague en 1934, ce surréaliste émérite est surtout connu pour ses animations d’objets et de plastiline qui lui permettent de concevoir Les possibilités du dialogue (1982) et Obscurité/Lumière/Obscurité (1989), parfois en alternance avec des prises de vues réelles, comme c’est le cas pour L’appartement (1968), Une semaine tranquille à la maison (1969) et Nourriture (1992), tous diffusés ce soir. Arrivé au cinéma par le théâtre de marionnettes et les arts graphiques (clin d’œil à Arcimboldo), ce créateur d’univers absurdes apparaît nettement un héritier de Buñuel, alors que l’on peine à retrouver sa propre influence dans la cruauté édulcorée de Gilliam et Burton. En effet, avec un humour souvent noir, Švankmajer part de situations domestiques et familières pour introduire des thèmes obsessionnels qui mettent l’humain à rude épreuve – claustrophobie, enfouissement, mutilation sadique, prédation, etc. Face à l’inquiétante étrangeté de l’aliénation et de la souffrance d’exister, le public ne peut que rire ou s’angoisser davantage.
Sarhan confesse un intérêt de longue date pour le cinéaste sarcastique. Pour l’exprimer, plus qu’un ciné-concert il voulait une projection augmentée, un spectacle « conjuguant sons, images, chants, textes, improvisations, atmosphères… », en écho à la polysémie de son aîné. Attentives à chaque détail, les bruiteuses Olga Čechová et Jaroslava Hlavešová partagent les vingt minutes du premier film avec les membres de Prague Modern, ensemble fondé en 2008 par le chef Michel Swierczewski : Gabriela Vermelho (voix, quinton), David Danel (violon, contrebasse), Karel Dohnal (clarinette, clarinette basse), Vojtěch Procházka (piano, synthétiseur) et Ctibor Bártek (percussions). Outre jouer la partition – une ritournelle grinçante accompagnant des univers parallèles lorgnés par un voyeur, un piano jazzy lors d’un petit-déjeuner tragi-comique, un dîner à l’orientalisme suave, des ostinati de cordes et de métal rythmant des dialogues-combats (voire un chant nu pour un amour mué en haine) –, les interprètes, solitaires ou en couple, interviennent lors de brefs entractes, par gestes, sons et paroles stimulantes tirées du Décalogue de Švankmajer – « Sois entièrement soumis à tes obsessions », « Prends sans cesse le rêve pour la réalité et inversement », etc.
LB