Chroniques

par hervé könig

portrait d’Unsuk Chin – épisode 3
œuvres de Chin, Debussy, Ligeti, Seo et Yun

Festival d’automne à Paris / Auditorium, Maison de Radio France
- 10 octobre 2015
troisième épisode du portrait de la compositrice Unsuk Chin à Radio France
© dr

Troisième volet du passionnant portrait sculpté en sons par le Festival d’automne à Paris de la compositrice Unsuk Chin. Après les opus concertants d’hier soir et ceux plus théâtraux du concert de cet après-midi, le bel Auditorium de Radio France (qui n’a pas encore un an, rappelons-le) est investi cette fois par la musique de chambre de la Coréenne, placée sous la protection de ses illustres inspirateurs que furent Claude Debussy, György Ligeti et Isang Yun. Ce nouveau rendez-vous est aussi l’occasion de découvrir une pièce toute récente de son jeune compatriote Jeehoon Seo (né en 1982).

Il revient à Isang Enders, vivement applaudi vendredi dans le Concerto pour violoncelle [lire notre chronique de la veille], d’introduire cette soirée chambriste par la Sonate que Ligeti consacrait à cet instrument, durant la période hongroise (avant l’insurrection de l’automne 1956) – un premier mouvement dès 1948, un second cinq ans plus tard. Le Dialogo initial, d’une gravité toute bartókienne, regarde du côté du madrigal amoureux. Sous l’archet généreux d’Enders, il explore des trésors de tendresse, au fil d’un chant très inspiré. La tension solaire du « virtuosissime » Capriccio abrite un bref rappel des déclarations initiales, sur un mode clairement élégiaque.

Pourquoi ne joue-t-on pas plus la musique d’Isang Yun ? Né en 1917 en Corée du sud, Yun (fils du poète Ki-hyon Yun) a étudié dans son pays, puis au Japon jusqu’en 1944. Après une période de résistance pour l’indépendance coréenne, il part en 1956 à Berlin se confronter plus activement aux esthétiques occidentales. Il suivra les cours de Darmstadt avant d’être capturé en 1967 par les services secrets coréens. Emprisonné de longs mois par le dur régime de Chung-hee Park, il recouvre sa liberté en 1969 et vient enseigner la composition à Hanovre, activité qu’il poursuit à Berlin durant les quinze années suivantes, tout en continuant de militer contre l’autoritarisme du président sud-coréen. Il y aura vingt ans le 3 novembre que Yun, citoyen allemand depuis 1971, s’est éteint dans la capitale du Brandebourg – où vivent aussi Jeehoon Seo et Unsuk Chin. En nous quittant, il laissait un vaste catalogue, comprenant pas moins de quatre opéras. Sunwook Kim, qui lui aussi officiait hier (Concerto pour piano), se joint au violoncelliste pour interpréter Espace I, pièce d’une dizaine de minutes particulièrement lyrique de la maturité (1992) qui donne envie d’entendre plus souvent des œuvres de ce compositeur. Ils concluent la première partie du programme par une lecture extrêmement délicate de la Sonate en ré mineur de Debussy (1915) dont la Sérénade centrale séduit, par-delà son inquiétude.

Élève d’Hanspeter Kyburz, York Höller et Tristan Murail, enfin d’Unsuk Chin elle-même, Jeehoon Seo est déjà l’auteur d’une quinzaine d’opus pour divers effectifs. Pour l’ensemble Essenz dont il est le directeur artistique, il a composé Territoire (flûte, clarinette, deux violons, deux altos, violoncelle et piano) en 2014, créé à Berlin sous la direction de Taepyeong Kwak le 2 juin de la même année. Ici, c’est la jeune cheffe Marzena Diakun (née en 1981) qui opère à la tête de huit musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Radio France. D’une facture subtilement joueuse avec les timbres, Territoire se fond dans une sorte d’angoisse de l’anodin, à l’instar du texte cité en référence dans la brochure de salle, empruntant à Mille plateaux de Deleuze et Guattari (Minuit, 1980). Prochain rendez-vous avec le brillant et sensible Seo : à Francfort, Johannes Kalitzke dirigera l’Ensemble Modern et les jeunes stagiaires de son académie dans la création mondiale d’Heimsuchung ; ce sera le 9 novembre.

Pour le troisième coup de pinceau de son Portrait, Unsuk Chin est présente par deux fois. D’abord avec les Études pour piano, puis snagS&Snarls, suite faussement imaginée à partir de son opéra Alice in Wonderland. Sunwook Kim exécute trois pages en solo. En souvenir des gamelans, l’Étude en do (n°1, 1999-2003) tournoie dans un papillonnement illusoire que circonscrit la résonnance autoritaire d’une basse pédalisée. Sequenzen (n°2, 1995-2003) se rappelle ouvertement la manière debussyste, dans ses premières mesures, puis convoque la répétition d’un motif, procédé dont usa beaucoup Ligeti dans ses propres Études [lire notre critique du CD]. La gracilité de la frappe de Sunwook Kim est idéale ! La piquante Toccata (n°5, 2003), qui évoque la polarisation harmonique de la première, nous entraîne dans un dédale d’accents secco et d’obstinations hypnotiques, avant un grand geste d’accords qui s’étiolent en perdition rapide dans les hauteurs. Quant à snagS&Snarls pour soprano et ensemble, il n’est pas tiré de l’opéra précité [lire notre chronique du 14 juin 2010] mais en précède l’écriture. Cette suite, qui compte cinq mouvements, fut créée le 6 juin 2004 par le LA Opera Orchestra, son commanditaire, sous la direction de Kent Nagano. Nous la découvrons dans sa version réduite à douze instruments (flûte, basson, clarinette, cor, deux violons, alto, violoncelle, contrebasse, piano et deux percussions) par June Young Joo en 2009. Nous y retrouvons la voix de Yeree Suh, soprano entendu cet après-midi dans Akrostichon-Wortspiel [lire notre chronique du jour], dont l’inflexion traverse le troisième Lied de ce cycle, The Tail-Tale of the mouse, avec son drôle d’éclat de rire nasillard.

La suite ?
L’Ensemble Intercontemporain s’en chargera le vendredi 27 novembre, à la Philharmonie de Paris. Nous y entendrons d’autres Études pour piano d’Unsuk Chin, ainsi que ses Doppelkonzert (2002), Graffiti (2013) et Allegro ma non troppo (1993-98), mais encore les œuvres de deux autres compositeurs coréens. À bon entendeur…

HK