Chroniques

par hervé könig

Porgy and Bess | Porgy et Bess
opéra de George Gershwin

Grange Park Opera
- 7 juillet 2019
"Porgy and Bess", l'opéra de Gershwin, au festival Grange Park Opera 2019
© richard lewisohn

Ces tournées d’été dans les festivals lyriques anglais constituent une aventure en soi : d’une part les spectacles se succèdent dans des réalisations de qualités diverses, d’autre part les cadres qui les accueillent changent considérablement, et enfin les ouvrages représentés confrontent le chroniqueur à l’absence d’unité quant aux styles et aux époques, aux origines nationales, etc. – il suffira de regarder le début de ces virées britanniques pour le prouver : Hamlet (Brett Dean) il y a deux ans, suivi de Pelléas et Mélisande (Debussy), Fidelio (Beethoven), Y tŵr (Guto Puw) et de Macbet (Verdi), l’an passé Roméo et Juliette (Gounod) puis Un ballo in maschera (Verdi) et Capriccio (Strauss), enfin l’Anna Bolena (Donizetti) de 2019 lançait La fiancée vendue (Smetana), The turn of the screw (Britten), Hänsel und Gretel (Humperdinck) et Don Carlo (Verdi), selon un sain éclectisme couronné ce soir par l’opéra de Gershwin, Porgy and Bess [lire nos chroniques du 30 juin, des 1er, 2, 17 et 18 juillet 2017, des 26, 27 et 28 juin 2018, des 29 et 30 juin puis 1er, puis des 5 et 6 juillet 2019].

Il y a de l’audace à monter Porgy and Bess au festival non seulement le plus sylvestre et bucolique d’Angleterre, mais aussi le plus jeune ! Grange Park Opera confie la mise en scène à Jean-Pierre Van der Spuy, artiste sud-africain remarqué dans son pays d’origine pour son théâtre politiquement engagé. L’histoire de l’Apartheid confronte la trame de l’opéra de Gershwin, créé en 1935, à la réalité raciste plus récente – l’incursion de la police blanche à Catfish Row, quartier exclusivement noire, ramène aux habitudes oppressives d’Afrique du Sud, de même que le compositeur a voulu montrer les conditions de vies plus que difficiles dans une communauté noire étasunienne. Dans la scénographie sans concession de Francis O’Connor, très pratique pour confiner le plateau dans les scènes d’intérieur et l’ouvrir sur la plage du pique-nique, la production développe une dramaturgie raffinée sous la lumière rasante de David Plater. La clé de voûte en est l’effrayante tempête où l’on prie dans la maison menacée, métaphore des passions en jeu dans la communauté. Les tableaux s’enchaînent dans une parfaite fluidité, grâce à la chorégraphie de Lizzie Gee. Il est pourtant dommage d’avoir coupé plusieurs passages, comme par peur de lasser le public. Les sceptiques diront que le tonnerre d’applaudissements final résulte de ces coupures, mais je crois vraiment, pour ma part, que la version complète aurait provoqué encore plus d’enthousiasme.

En fosse, Stephen Barlow dirige le BBC Concert Orchestra dans une interprétation contrasté et vivante qui fouille consciencieusement les trésors d’inventivité de Gershwin. Dans cette version écourtée, on perd forcément beaucoup, mais ce qui reste fait l’objet d’un soin plus que louable. De même faut-il saluer les choristes dont les interventions vaillantes et parfois endiablées sont un élément précieux dans la réussite de la soirée. Si les costumes (également d’O’Connor) peuvent évoquer les années trente où l’œuvre a vu le jour, c’est sans occulter l’actualité d’actes racistes anti-Noirs, de nos jours, aux USA. Le plateau vocal est un ravissement qui honore la musique de Gershwin.

Le baryton-basse Musa Ngqungwana est né à Port Elizabeth, en Afrique du Sud. Son Porgy robuste brûle les planches et domine la distribution. Avec un aigu cuivré, le chanteur affirme un registre grave très puissant. Il incarne un personnage attachant dont le destin émeut facilement la salle. Le soprano nord-américain Laquita Mitchell compose une Bess un peu casse-cou à laquelle elle prête un timbre riche et une voix ample bien qu’agile. L’Anglaise Sarah-Jane Lewis déploie une puissance impressionnante dans le rôle de Serena dont elle révèle la musicalité. Originaire du Nigéria, Francesca Chiejina sert Clara avec délicatesse – sublime Summertime, la berceuse du premier acte ! L’élégance de la basse jamaïcaine Robert Winslade-Anderson est à son fait dans la partie de Jake. Le Sud-Africain Rheinaldt Tshepo Moagi est exactement le ténor requis pour Sporting Life, insolent persifleur qui entraine toujours son projet dans la mauvaise barque. Quant au solide baryton-basse Donovan Singletary, né en Floride, il campe un Crown vraiment dangereux, sans brutaliser le chant. Quand toutes les voix, comme ce soir, sont à leur bonne place, c’est un vrai bonheur !

HK