Chroniques

par david verdier

Pan et Syrinx, d’après Isis, tragédie lyrique de Lully
Actéon, pastorale de Charpentier

Opéra de Lille
- 6 mars 2013

On connaît la fascination que produit la métamorphose, depuis Ovide en passant par Klossowski. Cette issue surnaturelle se manifeste généralement face à une situation périlleuse et traduit une forme de destin à la fois fantastique et fantasmée. La réunion de ces deux courts opéras de Lully et Charpentier (précisément saynète et pastorale) reprend en l'inversant le processus protéiforme en réponse au dépit amoureux. Ici, la séduction côtoie le viol (métaphorique) et le comportement des divinités sert de projection à l'imaginaire des hommes.

Pan et Syrinx est le nom donné à cet extrait du troisième acte d'Isis (1677), tragédie lyrique de Lully sur un livret de Quinault. Afin d'amoindrir les conséquences musicales et dramatiques, on a choisi d'y ajouter l'ouverture de Psyché du même Lully, ainsi qu'un extrait d'une suite de viole de Marin Marais, pour agrémenter la plainte de Pan. La cohérence de l'ensemble est relativement fonctionnelle, à ceci près qu'on peine à comprendre les réticences phobiques de la nymphe Syrinx puisque la scène est coupée de son contexte.

Tout commence par un écran de projection, façon cinématographe 1900, sur lequel apparaît en ombres chinoises un insectarium mystérieux, quelque part entre Roland Topor et la leçon de choses. La mise en scène de Damien Caille-Perret joue avec cette esthétique du théâtre d'ombres asiatique qui double l'action chantée par le jeu des marionnettes. Le chœur est placé sous l'écran, quasi invisible, à l'exception des visages qui jaillissent de l'obscurité comme des points lumineux. Le va-et-vient continu entre toile et scène (sur laquelle s'esquisse une partie de l'action) crée un effet de discontinuité et un manque de lisibilité.

L'action naît d'une ode à la liberté étonnamment proche du livret que Da Ponte imaginera un siècle plus tard pour Don Giovanni. Malgré des sonorités instrumentales assez grêles, Le Concert d'Astrée vibre d'un bel élan rythmique sous la direction d'Atsushi Sakaï, assistant d'Emmanuelle Haïm. L'équilibre du chœur est remarquable et l'intelligibilité d'ensemble cohérente, même si les interventions solistes mettent à mal ces bonnes impressions. Jean-Michel Ankaoua est un Pan vocalement assez débraillé ; son vibrato seul fournirait de bonnes raisons à Élodie Kimmel (Syrinx) de se changer rapidement en roseau pour lui échapper. La déploration de l'amoureux transi est le meilleur moment de cette saynète, surtout avec cette lente descente de la voix dans l'obscurité et le silence, accompagnée du triple écrin d'une viole de gambe, basse de viole et positif.

L'ouverture d'Actéon (1684) est enchaînée sans transition, saisissant contraste de lignes et de couleurs qui tranchent sur le sfumato incertain de la tristesse lullyste. Le chœur des chasseurs chante de front avec un bel effet de course au ralenti, diamétralement opposé à la dureté d'un texte consonantique et très syllabique (Allons, marchons, courons, hastons nos pas). Bien plus à l'aise dans le costume d'Actéon que dans celui d'Hippolyte [lire notre chronique du 13 février 2013], Samuel Boden déploie un chant fort justement candide et angélique (Agréable vallon, paisible solitude…). L'acuité des éclairages tranche avec la première partie, au point de faire regretter certains détails inutiles, comme ces racines articulées ou ces vilains crânes d'oiseaux sur les épaules de Diane. Un groupe mixte de nymphes quasi-Walkyries entourent et protègent la belle Lucy Page, Diane au timbre aérien et sûr. Les éclairages de Jérémie Papin font de la scène du bain un moment suspendu et très beau. On oublie au passage l'entorse faite par Charpentier au récit d'Ovide à travers l'intervention d'une Junon vengeresse, interprétée avec brio par le chant contrasté d'Anna Wall. Cette justification narrative explique le malheureux hasard qui met Diane et Actéon en présence. Ceci dit, l'attention se focalise inévitablement sur la métamorphose de l'infortuné indiscret. Contrairement à celle de Syrinx, quasi invisible, tout se déroule ici en pleine lumière. Coiffé de son emblématique crâne de cerf, Actéon titube sur scène avant d'être dévoré par le chœur déguisé en meute de chiens. Quand ils soulèvent leurs masques, ses compagnons apparaissent et déplorent la perte du héros avec une douleur poignante. La mise en avant de la symétrie de construction et de l’unité de climat conforte le bien-fondé d'avoir réuni ces deux ouvrages en un spectacle unique et particulièrement réussi.

DV