Chroniques

par david verdier

Raphaël Pichon joue Hippolyte et Aricie
tragédie lyrique de Jean-Philippe Rameau

Opéra royal, Château de Versailles
- 13 février 2013
Raphaël Pichon joue Hippolyte et Aricie (Rameau) à l'Opéra royal (Versailles)
© dr

Un seul être vous manque… c'est un peu le sentiment qui prédomine ce soir, à l'Opéra royal de Versailles, en découvrant l'absence de Gaëlle Arquez dans le rôle d'Aricie. En excluant de lui en tenir rigueur, il faut plutôt y voir les conséquences logiques d'un succès mérité et l'attente qu'avaient suscitée en nous ces dernières apparitions sur scène. On se consolera bientôt en la découvrant en Mrs Meg Page de Falstaff à l'Opéra Bastille. Pressée par un trac délétère, Elodie Kimmel ne démérite pas mais peine à faire oublier la dimension ample et fine du timbre de Gaëlle Arquez. Le couple qu'elle forme avec Samuel Boden (Hippolyte) trouve un équilibre bien involontaire dans une relative fragilité et une projection assez timorée. Deux adolescents timides, victimes d'un sort fatal qui les dépasse et finirait par les engloutir tragiquement sans ce piètre librettiste d'abbé Pellegrin qui crut bon de fermer les yeux sur la beauté tragique et sanguinolente de l'invention racinienne du récit de Théramène et proposait à la place un happy end dilué dans une très niaise et pastorale eau de rose. Contrairement au choix d'Ivan Alexandre et Emmanuelle Haïm à Garnier [lire notre chronique du 17 juin 2012], il s'agit de la dernière version de l'ouvrage (1757) qui raccourcit le dénouement et fait disparaître prologue et personnages.

Hormis le frêle Hipplolyte, les grand rôles masculins sortent en triomphateurs de cette soirée versaillaise. Le Thésée d'Edwin Crossley-Mercer offre une alternative de très haut niveau à l'interprétation de Stéphane Degout. Seule l'absence de scénographie pourra faire obstacle à la caractérisation impressionnante de son personnage. Le grain sonore est très concentré, âpre et contondant quand il s'agit de dire le tourment de sa destinée (« Qu'ai-je appris ? Tous mes sens en sont glacés d'horreur… »), émouvant quand ce même destin frappe à nouveau pour lui interdire de revoir son fils. Jérôme Varnier s'impose sans conteste dans le rôle de Pluton, parfaitement en phase avec un livret qui évite à ce personnage les excès dramatiques de son rang mythologique. Dans la scène des Parques, il fond la sonorité de ses graves au reste du trio pour ne pas les couvrir. Vincent Vantyghem ne laisse pas la même impression d'aisance, surtout quand il s'agit de rentrer dans le costume terrifiant de la furie Tisiphone tourmentant Thésée aux Enfers. Le souvenir de Marc Mauillon sur la scène de Garnier hantera pour longtemps le souvenir de ceux qui ont eu la chance de l'entendre.

Petite déception du côté des voix féminines, à commencer par Maria Riccarda Wesseling (Phèdre) qu'on annonce souffrante et qui fait pourtant belle impression avant de céder progressivement dans son dernier air, Non, sa mort est mon seul ouvrage. Sabine Devieilhe (tour à tour Prêtresse, Bergère et Matelote) l'emporte par le charme et l'aisance des ses aigus sur la Diane en demi-teintes d'Anna Rheinhold. Remplaçante de luxe, Aurelia Legay assume avec fermeté l'air de la Chasse ainsi que le rôle d'Œnone.

Raphaël Pichon retrouve une œuvre qu'il connaît bien pour l'avoir dirigée à Beaune l'été dernier. L'univers de la tragédie lyrique convient à sa battue volontaire et contrastée. Seules quelques scènes – parmi les plus spectaculaires sur les plans expressif et technique – mériteraient un bras plus affermi et des intentions moins littérales. Les fantasques dissonances de la sentence des Parques, par exemple, moins éloquentes que la manière dont il conduit le reste de l'ouvrage, bien soutenu par l'engagement et les couleurs remarquables de son ensemble Pygmalion. À suivre prochainement à la Chapelle Royale (et au Festival de Saint-Denis) dans une Passion selon Saint Jean qui promet beaucoup.

DV