Chroniques

par david verdier

Oscar Strasnoy, dernier episode
L’Instant, opéra (version de concert)

Présences / Théâtre du Châtelet, Paris
- 22 janvier 2012
l'écrivain italien Italo Calvino
© dr

Créé à l'issue de la Grande Guerre, Ragtime de Stravinsky apparaît comme une des premières tentatives d'introduire le jazz comme élément structurant d'une forme classique. Ce divertissement sans prétention, écrit pour instruments à vent, cordes, percussions et cymbalum, se nourrit de sa propre jubilation à transgresser les limites strictement métronomiques. La conduite faussement dilettante d'Oscar Strasnoy trouve chez les musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Radio France des interprètes plutôt inspirés et prenant plaisir à faire sonner cette musique en toute décontraction.

Dans la même veine, le choix des deux Suites pour petit orchestre ajoute à l'univers personnel de Strasnoy une touche de légèreté et d'entertainment jamais vulgaire et toujours à-propos. Commande d'un music-hall parisien, la deuxième Suite est un assemblage orchestré de pièces pour piano à quatre mains ainsi que des pièces que Stravinsky composa pour ses enfants. Les dédicataires des trois premiers morceaux ne sont rien moins qu'Alfredo Casella (Marche), Erik Satie (Valse) et Serge Diaghilev (Polka). Ce burlesque en trompe-l'œil sonne sans affèterie, d'un motorisme bigarré et tonique.

Dans Usages du monde, Strasnoy s'amuse du côté enfantin de la Maîtrise de Radio France. Derrière la joliesse de certains effets, on devine un univers naïf perdu entre Francis Poulenc et Jacques Tati. Une subtile chorégraphie permet de faire apparaître des objets aussi insolites qu'un poulet en caoutchouc et un immense couteau à volaille. La musique est sans prétention, parcourue de comptines faussement candides. L'argument trouve ses sources dans un manuel de savoir-vivre rédigé par une mystérieuse baronne Staffe. Dans la bouche des enfants ces leçons de morale résonnent d'un écho suranné comme autant de regards acides portés sur le monde des adultes.

La nouvelle version de l'Instant s'inspire d'un conte de l'écrivain italien Italo Calvino [photo], mis en livret par Alejandro Tantanian. Ce monde onirique à la Chagall s'avance avec des faux-airs d'Histoire du Soldat dans lequel les morts viennent jouer de mauvais tours aux vivants. Musicalement, c'est un amalgame de sons soufflés et de chuchotements sur lesquels se greffent les ornements un peu hautains (et assez inutiles, à vrai-dire, car inarticulés et doublés par le récitant) du haute-contre Andrew Watts. La voix imperturbable de Benjamin Lazar est étrangement à mille lieues de toute diction « baroquisante », ce qui n'est pas sans intriguer dans toute la première partie de l'ouvrage. Strasnoy ménage la charge d'humour noir et pince-sans-rire, conservée intact par l'art de la déclamation – comme, par exemple, cette liste hilarante et ininterrompue de termes médicaux désignant les différentes parties du corps. Aux mélismes de la voix chantée soliste s'oppose le jeu rythmique des voix d'enfants, avec claves et maracas – mais aussi des instruments aussi insolites que des trousseaux de clés ou des sacs plastiques froissés. L'épisode des noces est l'occasion d'un immense carambolage où se mêlent chorals de cuivres et chœurs chantés-parlés. Ces associations de sons « ready made » exploitent à l'occasion les grésillements des changements de fréquences radio et éclatent en envol de ballons multicolores.

DV

Retrouver notre chronique de tous les concerts Présences 2012, par Laurent Bergnach, Bertrand Bolognesi, Jorge Pacheco et David Verdier : épisodes 1 (13 janvier, 20h), 2 (14 janvier, 17h), 3 (14 janvier, 18h), 4 (14 janvier, 20h), 5 (15 janvier, 16h), 6 (15 janvier, 18h), 7 (20 janvier, 20h), 8 (21 janvier, 16h), 9 (21 janvier, 18h), 10 (21 janvier, 20h), 11 (22 janvier, 11h), 12 (22 janvier, 14h30) et 13 (22 janvier, 16h30)