Chroniques

par bertrand bolognesi

Nikolaï Lugansky et Kurt Masur
cycle Tchaïkovski de l'Orchestre National de France

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 10 novembre 2005
Nikolaï Lugansky joue Tchaïkovski, accompagné par Kurt Masur et l'ONF
© james mac millan

Ce soir commence une série de quatre concerts, agrémentée d'un rendez-vous chambriste, avec lesquels Kurt Masur entend rien moins que réhabiliter Piotr Tchaïkovski comme compositeur de musique « sérieuse » ; c'est là se poser en défenseur des causes entendues, car vraiment croira-t-on qu'aujourd'hui ce que le monde compte de mélomanes et de musiciens nourrirait encore le préjuger inverse ? Il n'est qu'à dénombrer les sorties discographiques, qu'à feuilleter les brochures de saisons de nos orchestres et des différentes maisons d'opéras, observer la fréquentation des salles lorsqu'on y joue la musique du grand Russe et jusqu'aux rayonnages des librairies musicales pour se convaincre qu'elle n'est certes pas mal aimée, bien au contraire. Et s'il s'agit de la défendre pour son sérieux, pourquoi le chef allemand inaugure-t-il le cycle qu'il lui consacre par le Capriccio italien Op.45 ! Si, dans cette exécution, l'on salue tout autant l'efficacité et la vaillance des cuivres que la pâte particulièrement homogène qu'obtiennent les cordes, on regrette la lourdeur déconcertante avec laquelle Kurt Masur articule et vocifère cette page dispensable.

On s'en souvient : le label américain PentaTone publiait l'an dernier un fort bel enregistrement du Concerto en si bémol mineur Op.23 n°1 de Tchaïkovski qui nous faisait écrire : « c'est un piano littéralement taillé dans le roc que propose Nikolaï Lugansky » [lire notre critique du CD]. Rien de moins vrai ce soir, le pianiste s'adonnant à une brutalité systématique dans l'Allegro initial, articulé dans une emphase contradictoire. C'est à l'Orchestre National de France que l'on doit les meilleurs moments de ce concerto, le chef ciselant une lecture fluide et sobre où les interventions des bois sont lumineuses. Peu inspiré, Lugansky heurte la cadence comme jamais. L'Andantino central va mieux : on y retrouve construction de la couleur et cohérence du discours, sans atteindre toutefois les raffinements dont cet artiste est coutumier. Dans le dernier mouvement, son jeu soigne une dynamique plus riche, mais souffre d'une désolante absence d'inventivité. Les qualités de Nikolaï Lugansky ne sont pas au rendez-vous : sa lecture demeure aussi froide que terne.

Heureusement, il y a la Symphonie en ut mineur Op.17 n°2, écrite par Tchaïkovski quelques mois avant l'Opus 23. Masur offre à l'Andante sostenuto un fin beau travail de couleurs, usant plus subtilement de l'écriture des timbres, laissant arriver le thème de cordes dans un grain joliment charnu. La démarche s'avère extrêmement charpentée, revendiquant l'influence des compositeurs allemands. L'ensemble s'équilibre en convoquant un lyrisme contenu sans exagérer la théâtralité de l'exécution. Amorçant l'Andante marziale dans un dosage idéale où la réalisation des pizz' s'avère irréprochable, le chef accompagne chaque phrase jusqu'au bout, tissant un élégant entrelacs symphonique. S'il impose à l'effervescence du troisième mouvement une étiquette beethovénienne, c'est dans une conception à la fois tonique et moelleuse qu'il offre le dernier. Le second thème de cordes arbore une sensualité toute chorégraphique, dans une articulation moins statique que les prémices purent le laisser prévoir. Dans l'ensemble, cette interprétation de laPetite russienne brille par son inspiration et par le soin apporté à la perception du discours et de la forme.

BB