Chroniques

par bertrand bolognesi

NDR Elbphilharmonie Orchester
Messiaen et Bruckner par Renée Fleming et Alan Gilbert

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 22 octobre 2021
Renée Fleming chante "Poèmes pour Mi" d'Olivier Messiaen à Paris
© andrew eccles

Pour un soir avenue Montaigne, le NDR Elbphilharmonie Orchester offre aux mélomanes parisiens un programme moins surprenant en ce qu’il mêle répertoires germains et français qu’en sa brassée des siècles, avec une première partie puisée dans l’entre-deux-guerres suivie d’un bond en arrière de six décennies. De fait, Poèmes pour Mi fait-il vraiment partie du répertoire ? Rien n’est moins sûr…

C’est, en tout cas, l’œuvre dont les deux Livres se déploient dans les pupitres hambourgeois, sous la battue d’Alan Gilbert, décidément excellent à servir notre musique, comme le révélait son interprétation de Jeux, il y a quelques temps [lire notre chronique du 26 avril 2015]. De fait, bien des souvenirs debussystes traversent encore la facture du Messiaen de la fin des années trente, comme le souligne l’exquise souplesse de la présente lecture. La délicatesse des alliages flûtistiques en tons voisins (I, 1), la subtilité de la nuance (I, 3), l’efficace des cuivres (I, 4), la tendresse de l’inflexion (II, 1), une magique tonicité (II, 3) et l’absence de surenchère, pour conclure (II, 5), sont les ingrédients ponctuels d’une approche que caractérisent l’équilibre constant de contrastes jamais appuyés et la soie caressante des cordes.

Aux côtés de la phalange radiophonique allemande et du chef new-yorkais, placé à sa tête il y a deux ans – il y succédait à Christoph von Dohnányi –, nous retrouvons avec plaisir Renée Fleming. Et la surprise n’est certes pas des moindres à découvrir comment le fameux soprano, encore applaudi ici-même dans l’opus 150 de Strauss qu’elle a si souvent servi [lire notre chronique du 20 mai 2017], fait sien le recueil de Messiaen. « Le ciel et l’eau qui suit les variations des nuages… »… la clarté de la couleur frappe d’emblée l’écoute, d’autant que s’y associe une diction très soignée, si bien que l’artiste étasunienne magnifie aisément Action de grâces, le premier des neuf poèmes dédiés à Claire (alors l’épouse du compositeur), couronné par un Alléluia miraculeusement aérien, sur l’irrésistible ritournelle de l’orchestre. Avec Paysage, pourtant, le français vient à se détendre, ne se laissant plus percevoir que par bribes. Peu importe, la lumière préservée par la voix en son charmant aigu fait merveille dans La maison, quand bien même un grave qu’on aimerait un brin plus musclé fait défaut dans l’énergique Épouvante dont impressionnent les spectaculaires montagnes russes, dans une intonation parfaitement maîtrisée. Amabile comme jamais, le chant délivre à L’Épouseune douceur ineffable, à l’instar du legato inépuisable mis ensuite à contribution par Ta voix. Au farouche Les deux guerriers, où s’opposent l’élan chanté et la rugosité d’un parlando, le savoureux lyrisme du Collier trouve avantage dans ce que certains commentateurs ont appelé le glamour de Renée Fleming – une façon bien à elle de conduire la phrase, proche d’une gouaille contenue mais bien présente. Encore faut-il dire que les vers s’y prêtent comme aucun du cycle mélodique. Bien qu’on l’entende moins dans le dernier, Prière exaucée, dont l’orchestration, passé l’invocation vocale liminaire, s’avère plus massive qu’ailleurs, la chanteuse signe immanquablement une version toute personnelle de cette page souvent confiée à des gosiers trop durs pour en transmettre pleinement la teneur.

Après l’entracte, le rendez-vous avec la plus jouée des partitions de Bruckner ne sera guère probant. Indéniablement, les innombrables qualités des musiciens se conjuguent pour le mieux, sans pourtant qu’Alan Gilbert atteigne l’assemblage idéal. De cette Symphonie en mi bémol majeur n°4 « Romantique », donnée ici dans la mouture de 1880, l’abord paraît trop fragmenté. Si chacune de ses îles arbore une finesse qui frise la perfection, leur survol ne suffit point à former l’archipel.

BB