Chroniques

par bertrand bolognesi

Mes trois cents premières années
ou l’histoire vraie et imaginaire d’un violoncelle Claude Pierray

concert-lecture d’Alexis Descharmes
Conservatoire à Rayonnement Régional, Paris
- 12 décembre 2014
Mes trois cents premières années, concert-lecture d’Alexis Descharmes
© alexis descharmes

« On n’a pas tous les jours vingt ans… » gouaillait Berthe Sylva, alors que la station Paris-PTT montrait la toute première émission de télévision. Près de huit décennies plus tard, que chantera le violoncelle d’Alexis Descharmes pour fêter son trois centième printemps ? Demandez donc à l’héroïne de Čapek ce qu’elle entonna, le jour venu, avant de croiser la route d’un certain Janáček… En 2004, alors qu’après un concert à Vienne avec l’Ensemble Intercontemporain l’arrivée de son instrument est retardée, le musicien, qui doit urgemment trouver médium à le dépanner pour une prestation parisienne, va voir son luthier qui lui en prête un. C’est ainsi que se conclut le concert-lecture vu cet après-midi rue de Madrid, mais c’est ainsi que commence l’histoire contemporaine du héros du jour : un « CLAUDE PIERRAY, rue des Fossés Saint Germain-des-Près a Paris, 1714 » comme on le peut déchiffrer à travers l’une de ses ouïes.

Avec la participation d’Emmanuel Ceysson (harpe), Béatrice Martin (clavecin) et Sébastien Vichard (piano et orgue), ici présents via son et image projetés, Alexis Descharmes et le comédien Loïc Richard ont conçu ce concert-lecture comme une promenade au fil du temps, dans la vie du violoncelle comme dans l’Histoire, s’ingéniant à tisser d’un spécieux entrelacs les éléments « biographiques » certains et les extrapolations.

En se gardant salutairement d’entraîner l’auditeur à déchiffrer le texte sur la musique ou à la chercher dans la brouille des mots – contrairement à ce qui nous fut infligé dernièrement [lire notre chronique du 8 novembre 2014] –, nos compères font s’alterner les deux expressions, les laissant goûter à loisir, en toute clarté. Ainsi des premiers pas du « petit violoncelle », survenus sous l’austère fin de règne du Soleil, où sonnent de tous frais souvenirs italiens : commençons avec un Largo emprunté à une sonate de l’Émilien Domenico Gabrielli (1651-1690) dont on supposera que le Sieur Guillaume, premier titulaire dudit instrument, put jouer avant un accident fatal. Et bientôt s’en poursuivent les aventures, de main en main et d’archet en archet, chantant Couperin, Barrière, Beethoven, en France, en Allemagne, en Autriche et jusqu’à Boston, croisant d’autres destins, comme celui du luthier Léopold Renaudin (1749-1795), originaire de Mirecourt, exerçant à Paris et plus connu en tant que partisan farouche de Robespierre et l’un des plus zélés jurés de la Terreur : alors qu’en gagnant de nombreuses cicatrices ici et là l’encore jeune violoncelle avait déjà perdu sa tête, c’est ce Renaudin-là qui lui en refit une, lui à qui on la trancherait en place de Grève au printemps 1795…

Paris, Versailles, Postdam, Boston, New York, Liverpool, Vienne, Bruxelles, la roue tourne, chantant Gluck, Dvořák, mais aussi Webern et Chostakovitch… le texte volontiers souriant, écrit par l’instrumentiste lui-même, célèbre un bel anniversaire à un violoncelle devant lequel s’ouvrent sans doute de nouvelles grandes années.

BB