Recherche
Chroniques
Maurice Ravel par Santtu-Matias Rouvali
Laurent Naouri, Orchestre Philharmonique de Radio France
Après l’Orquestra Simfònica de Barcelona i Nacional de Catalunya [lire notre chronique du 15 juillet 2013] et l’Orchestre national de France, c’est au tour de la seconde phalange de la Maison ronde d’officier dans un programme aux effectifs variés (de la brigade chambriste à la formation complète en passant par le quatuor étendu avec soliste), exclusivement consacré à Maurice Ravel. Sensation du soir, l’Orchestre Philharmonique de Radio France, qui confirme un état de forme et une qualité d’ensemble exemplaire, est placé sous la direction du jeune chef finlandais Santtu-Matias Rouvali – il a près de vingt-neuf ans, mais en paraît dix-huit. Propulsé dans une carrière à l’aspect fulgurant et qui force l’admiration, le jeune maestro, actuellement titulaire du Tampere Filharmonia, n’en est pas à sa première à la tête de la formation parisienne avec laquelle il donnait l’an dernier un programme de « compatriotes » associant Saariaho et Sibelius [lire notre chronique du 19 avril 2013].
En petit effectif (bois par deux avec flûte jouant piccolo, hautbois jouant cor anglais, deux cors en fa et trompette en ut), la première partie du concert est ouverte par Le tombeau de Couperin, proche du concerto de solistes. Si les deux premiers mouvements, Prélude et Forlane, donnent un peu l’impression d’une belle mécanique qui a encore du mal à prendre, les soli de hautbois, parfaitement mis en lumière par un équilibre de plans bien dosé, donnent toutefois beaucoup de clarté à l’ensemble. Si Menuet et Rigaudon peuvent parfois surprendre par des choix de tempi très marqués – la partie centrale du second semble exagérément lente –, ils sont néanmoins le fruit d’options interprétatives tranchées, conduites avec beaucoup d’élégance. Élégance : c’est le terme qui vient immédiatement à l’esprit pour caractériser la gestique aux contours chorégraphiés du jeune homme. Pour autant, cette dimension ne s’exprime aucunement au détriment d’une précision et d’une justesse sans équivoque. Cet art de la direction séduit encore par un alliage étonnant entre l’instinctivité du geste et une manière de tirer parti au maximum des ressources et potentialités de l’orchestre, dans une vision fort analytique. Est-ce cela, la force de Santtu-Matias Rouvali ? Quoi qu’il en soit, et sous sa direction, l’orchestre rayonne.
À cette page répond l’effectif chambriste (deux flûtes, deux clarinettes, quatuor à cordes et piano) des Trois poèmes de Stéphane Mallarmé. Surprise : loin de resserrer l’amplitude du geste afin de diriger cet opus comme de la musique de chambre, Rouvali conserve mêmes intensité et contrôle, maintenant ainsi une fascinante sonorité d’ensemble. Le quatuor sonne avec la même homogénéité qu’un pupitre tuttiste et se fond à merveille dans les tenues de petite harmonie relayées par la résonnance du piano. Remercions-le de rendre hommage avec tant de précision aux pépites d’instrumentations dont à chaque page regorge la partition. Seul point négatif, le texte de Mallarmé, pourtant porté par la voix de Laurent Naouri, se perd dans un étrange effet d’éloignement acoustique. Si cette voix, ponctuellement privée de son texte, sert parfaitement les intentions de l’instrumentation générale, cette version de Mallarmé laisse toutefois sur sa faim. Par chance, ce léger déséquilibre ou ce son trop fusionnant ne se trouve pas transposé vers le grand orchestre dans Don Quichotte à Dulcinée, bien au contraire. Dans ce nouveau contexte orchestral, Laurent Naouri semble plus à son aise et sert avec habilité et une force de persuasion un brin théâtralisée les textes truculents de Paul Morand.
Dans le champ du grand orchestre, les autres pièces de cette soirée Ravel – Valses nobles et sentimentales, Une barque sur l’océan, Daphnis et Chloé (Suite n°2) – laissent entendre à quel point le travail amorcé depuis 2000 par Myung-Whun Chung a porté ses fruits. En ajoutant à cette formation une personnalité musicale aussi éruptive que celle de Rouvali, à l’énergie si communicative, la magie opère.
Dans Valses nobles et sentimentales, nous apprécions l’attention portée au déroulement de chaque phrase (rien n’est partiellement relâché) et des choix de tempo toujours admirablement en adéquation avec les subtilités, parfois piégeuses, de l’orchestration ravélienne. La Suite n°2 du ballet Daphnis et Chloé constitue une formidable apothéose au concert, témoignant de la solidité d’un orchestre aujourd’hui en pleine possession de ses moyens, à tous les niveaux. Réactif et d’une saine exactitude, il se laisse porter avec confiance par ce Finlandais assurément convaincant et captivant. Nous retrouverons donc avec plaisir ce bel équipage demain, dans un programme russe – à suivre…
NM