Chroniques

par hervé könig

Mary, queen of Scots | Marie, reine d’Écosse
opéra de Thea Musgrave

Opernhaus, Leipzig
- 11 février 2024
À l'Opéra de Leipzig, "Mary, queen of Scots" de Thea Musgrave (1977)...
© tom schulze

Après l’opéra semi-historique que Detlev Glanert composait à partir d’une tragédie de Grillparzer, Die Jüdin von Toledo, découvert hier à la Semperoper (Dresde) où il était donné en création mondiale [lire notre chronique de la veille], c’est un ouvrage plus ancré encore dans l’histoire que nous abordons aujourd’hui à l’Opéra de Leipzig. À partir de Moray, pièce de la poétesse péruvienne Amalia Elguera, la compositrice écossaise Thea Musgrave a rédigé, en 1973, le livret d’un nouvel ouvrage lyrique. Commandé par l’Edinburgh International Festival, l’opéra en trois actes Mary, queen of Scots sera créé par le Scottish Opera au King's Theatre de la capitale écossaise, le 6 septembre 1977. Après plusieurs productions au Royaume-Uni, aux États-Unis et même en Allemagne (Stuttgart, 1980 ; Bielefeld, 1984), c’est la Saxe que l’œuvre a gagné en décembre 2023. Nous assistons ce jour à la dernière représentation.

Nous ne raconterons pas le destin de Mary Stuart, que tous connaissent, nous contentant de préciser que l’argument retenu par Musgrave n’a pas grand-chose à voir avec la pièce de Schiller (1800), utilisée par le librettiste Giuseppe Bardari pour Maria Stuarda, le fameux opéra de Donizetti (1834). Contre toute attente, nous nous trouvons en fait plus près du scénario du film de la réalisatrice anglaise Josie Rourke, Mary Queen of Scots, sorti sur les écran en 2018. L’ouvrage que nous voyons ici se concentre sur la vie de la reine à partir de son retour sur l’île en 1561, après l’exil en France, et ses relations très tendues avec son demi-frère James Stewart, comte de Moray, et avec son second époux, Lord Darnley, comte de Ross et duc d'Albany. Le premier acte pose le contexte avec un cardinal compromis au centre d’une courtisanerie inactive. Le suivant se déroule quatre ans plus tard, lorsque Davide Rizzio est devenu son secrétaire particulier. Darnley affirme une jalousie violente et soupçonne l’enfant qu’elle porte de n’être pas le sien, mais celui du Piémontais. L’Acte III nous transporte au Palais de la Sainte-Croix (Haly ruid) où la reine demande aide et protection pour elle et pour son fils à James Hepburn, comte de Bothwell et duc des Orcades, à la mort de Lord Darnley, assassiné dans la nuit du 9 février au 10 février 1567. Plutôt qu’un protecteur, Bothwell s’avère son violeur, qui prendra possession de la couronne. Peu importe si cette trame contient quelques inexactitudes historiques : dramatiquement parlant, elle se tient.

La musique de Thea Musgrave – l’artiste fêtera quatre-vingt-seize printemps le 27 mai prochain – n’est pas si souvent jouée sur le continent pour qu’on n’ait pas profité de cette nouvelle occasion de l’entendre [lire nos chroniques de Phoenix rising et de Turbulent Landscapes]. L’éclectisme de la partition est extrêmement séduisant, développant un style pourtant personnel dans une couleur parfois archaïsante qui cite des danses courtoises françaises de la Renaissance et des souvenirs de folklore écossais. Avec une prédilection pour les percussions et un fosse plutôt chambriste, l’ensemble du matériau hérite clairement de la manière de Britten, disparu à peine dix mois avant la première de Mary, queen of Scots. Au pupitre du Gewandhausorchester, Matthias Foremny apporte un grand soin à son exécution, offrant beaucoup de délicatesse aux moments les plus intimes, qui contrastent avec les salves solennelles de la pompe aristocratique et avec des passages très tendus. Musgrave ne renonce pas du tout au sens de l’effet, quitte à placer son opéra dans une aura de cinéma. Foremny en profite avec à-propos [lire notre chronique de Rienzi].

La représentation bénéficie d’une équipe vocale efficace. On y applaudit bien volontiers les quatre Mary bien en voix, dames d’honneur de la reine – Ladies Beaton, Seton, Fleming et Livingston : respectivement Augusta Kling, Leah Weil, Lena Herrmann et Katharina von Hassel. Le rôle du secrétaire Rizzio revient à la basse Sejong Chang, impressionnant de lyrisme. Le jeune ténor islandais Sven Hjörleifsson campe un James Hepburn fulgurant. Le baryton Franz Xaver Schlecht use d’une couleur presque ténorisante pour son incarnation de James Stewart, le frère belliqueux. D’un ténor clair, aux inflexions souvent délicieuses, Rupert Charlesworth compose un Lord Darnley à la fois jouisseur et maladif qui brûle les planches [lire nos chroniques de Mitridate et de Tristan und Isolde, ainsi que de son CD Nocturnes]. Dans le rôle-titre, Nicole Chevalier déploie un colorature admirable. Avec un vrai sens dramatique et une technique redoutablement bien rôdée, le soprano impressionne beaucoup [lire nos chroniques de Medea, Fidelio et Idomeneo].

Malheureusement, la mise en scène n’est franchement pas à la hauteur. Les costumes d’Annette Braun sentent trop fort le vieux grenier d’accessoires, la scénographie de Dirk Becker est constituée d’un amas de tables et de chaises, entre fête populaire et réunion syndicale. Et si la lumière de Stefan Jennerich n’est pas sujet à caution, elle, le travail d’Ilaria Lanzino ne convainc pas vraiment, avec sa lourde insistance sur le destin de victime de Marie d’Écosse, comme si le spectateur n’en avait jamais eu conscience avant de venir poser son derrière face à la scène [lire notre chronique du Kaiser von Atlantis]. Quelle tristesse d’être passé à côté d’une telle œuvre ! La performance des membres du Chor der Oper Leipzig, préparés par Thomas Eitler-de Lint, est parfaite, quant à elle.

HK