Chroniques

par arvid oxenstierna

Marco Momi, Yann Robin, Agata Zubel et Vito Žuraj
Journées de musique de chambre contemporaine de Witten – épisode 1

Accanto et Klangforum Wien jouent quatre créations mondiales
Wittener Tage für neue Kammermusik, Witten
- 27 avril 2018
création mondiale de Cleopatra’s Songs d'Agata Zubel à Witten (Allemagne)
© łukasz rajchert

Un colloque eut lieu ce matin même, mais je ne pus arriver au Wittener Tage für Neue Kammermusik que pour les concerts du soir. Ils sontentièrement consacrés à des créations mondiales, au nombre de quatre. Avec Übergang Yann Robin investit le Livre des morts tibétain. En français, le titre donne Transition. Le compositeur creuse donc une brèche qui rejoint l’intérêt de ses œuvres précédentes, interrogeant enfers et volcans. À la suite d’une manière de détonation cachée, Übergang décline un chassé-croisé de tensions sur un océan paisible. Il oppose des éléments nerveux et une latence méditative. Avec beaucoup de maîtrise Robin transforme ce qui ressemble a priori à un trait frénétique en un ostinato mourant. Emilio Pomàrico, à la tête de Klangforum Wien, bichonne le relief de chaque événement. La suggestion d’un espace hors-norme où flotterait l’œuvre est accomplie par l’écho sans fin des percussions. Cette page d’environ douze minutes est conclue dans une résonnance qui se perd au loin et qui parait issue de l’improvisation [sur la musique d’Yann Robin, lire nos chroniques de Scratches, Art of Metal III, Titans, Vulcano, Chants contre champs, Inferno, Shadows et Symétriades].

La Polonaise Agata Zubel est inclassable [photo]. La chanteuse possède une voix à l’ambitus exceptionnel qui échappe à la catégorisation des registres. La compositrice prend aussi bien appui sur la création savante que sur l’inspiration pop ou l’ancrage dans un folklore qu’elle réinvente. Ce soir, elle interprète elle-même Cleopatra’s Songs, conçu à partir d’Antony and Cleopatra de Shakespeare (1608). Les modes d’expression vocale s’y succèdent – chuchotements, grands phrasés lyriques, ânonnements sur le souffle à la façon de Björk, vocalises psychédéliques qui rappellent Cathy Berberian, lamento fantomatique proche de Sciarrino et d’Aperghis, etc. L’écriture instrumentale est light, voire facile, avec des contrastes passionnants entre moments nus et saturations maximales. À l’inverse, la partie chantée affirme une extravagance totale. En une demi-heure avec la reine amoureuse, l’émotion s’intensifie.

À partir d’improvisations, d’essais et aussi d’erreurs fructueuses constatées pendant le travail avec les musiciens de Klangforum, le jeune compositeur slovène Vito Žuraj a imaginé Tension, nouvelle pièce qui sonde le désir, irrépressible autant qu’absurde, de créer. Très centré sur la percussion et les vents, Tension défie le tempérament en lui préférant les micro-intervalles du hasard, ici nettement dominés. L’inventivité dans les timbres et la tonicité générale, inversant des gammes perpétuelles selon les pupitres, confère au tout une urgence qui capture le public. Assez complexe, la langue musicale de Žuraj [lire notre chronique du 20 juin 2014] associe des monologues instrumentaux sur des ostinati bruitistes vertement expressifs. Voilà une personnalité marquante qu’il faudra suivre !

Le second volet de la première des Journées de musique de chambre contemporaine de Wittena lieu à 22H30, à l’Aula de l’École Rudolf Steiner. Le Trio Accanto (Marcus Weiss aux saxophones, Christian Dierstein à la percussion et Nicolas Hodges au piano) joue le délicat Vuoi che perduti de Marco Momi. L’Italien livre un nocturne aérien d’une facture raffinée. Le piano suspend une errance qui pourrait durer ad libitum. À suivre…

AO