Chroniques

par irma foletti

Manfred
poème dramatique de Robert Schumann

Opéra national Montpellier Occitanie / Comédie
- 29 novembre 2017
Manfred de Schumann, mis en scène par Sandra Pocceschi et Giacomo Strada
© marc ginot

Manfred Op.115, poème dramatique de Robert Schumann (1848), composé sur le drame versifié de Lord Byron (1817), est une vraie rareté en France. On garde uniquement dans notre souvenir récent les représentations de l’Opéra Comique [lire notre chronique du 11 décembre 2013]. Sandra Pocceschi et Giacomo Strada mettent en scène cet objet musical, et surtout théâtral, en habitués de l’Opéra national Montpellier Occitanie. Après y avoir réalisé la double affiche L’hirondelle inattendue / L’enfant et les sortilèges [lire notre chronique du 18 décembre 2015], puis le Stabat Mater de Dvořák la saison dernière, leur proposition de ce soir se révèle parfois illustrative, ancrée dans le monde réel, mais le plus souvent dans les brumes du monde intérieur de Manfred qui veut en finir avec la vie, rongé par le remords, la faute, l’inceste ayant mené à la perte de l’être aimé Astarté.

Au centre du plateau, un cube transparent sur les parois duquel sont projetées quelques séquences filmées : successivement THE END au lever du rideau, puis une femme qui marche dans un sous-bois, des cimes montagneuses enneigées, un récipient qui se remplit d’eau et quelques gouttes (de sang ?) qui tombent et colorent l’ensemble, le rouge qui domine également avec de la fumée sortant du cube pour évoquer les esprits infernaux chez Arimane, et enfin, diffusé alors sur toutes les faces du cube développé, un somptueux ciel nuageux au tombé du jour qui se transforme en nuit étoilée pour les adieux de Manfred au monde. De petites saynètes se déroulent à l’intérieur : un couple souffle les bougies d’un gâteau d’anniversaire, puis Manfred étreint le corps sans vie de sa bien-aimée, ensuite il s’adresse, debout en équilibre sur une chaise posée sur la table, à la tête de chamois accrochée en trophée pour lui décrire les beautés de la nature. Il enfile ensuite cette tête de chamois, utilise deux petites béquilles en prolongement de ses bras pour se métamorphoser en animal à quatre pattes. Il galope joyeusement et pousse le mimétisme jusqu’à donner rageusement de petits coups de cornes dans une chaise, avant d’être abattu de deux coups de fusil.

La performance du comédien Julien Testard dans le rôle-titre, qui porte à lui seul la majeure partie du spectacle, est remarquable. Le texte est dit en français, ce qui retire sans doute une certaine authenticité à l’œuvre imaginée par Schumann, mais facilite grandement l’accès aux affres de Manfred. Un problème de sonorisation, en début de représentation, et les caprices d’un micro qui grésille, font craindre une interruption, mais tout rentre rapidement dans l’ordre. Dans cette version, Manfred cumule l’ensemble des textes parlés, mis à part les quelques mots prononcés à la fin par le fantôme d’Astarté. Une petite réserve, cependant, peut être émise à propos des dernières phrases prononcées en anglais sur le texte original de Byron, où le comédien est loin, malgré toute sa bonne volonté et son application, d’atteindre la qualité et l’accent d’un acteur anglo-saxon.

Les parties chantées en allemand – en fait les courtes et diverses interventions des petits rôles – sont confiées aux membres du chœur. La qualité vocale est satisfaisante en général, à l’exception du trac très envahissant pour une soliste féminine en fin de représentation, mais la diction allemande reste très perfectible pour la plupart des chanteurs. Le chœur dans son ensemble, disposé en fer à cheval autour du cube, assis sur des chaises pendant presque toute la durée de la représentation, ajoute avec émotion sa touche finale, les quelques phrases latines du Requiem.

Le chef David Niemann, assistant musical lors de la série de représentations fin 2013 à l’Opéra Comique, connaît son Manfred et fait preuve de louables intentions, comme en particulier ses quelques attaques mordantes. Il maîtrise la cohésion de l’ensemble, y compris lorsque les solistes chantent dans les premières loges en avant-scène, à jardin puis à cour. L’Ouverture, passage souvent donné dans des programmes de concert symphonique, est un peu gênée par l’acoustique sèche, abrupte et sans profondeur de la fosse de l’Opéra-Comédie, à l’opposé des effluves romantiques qu’on a dans l’oreille dans d’autres conditions d’écoute. Les musiciens, dont certains paraissent émerger d’une petite sieste quand les lumières se rallument dans la fosse après un passage parlé, assurent tout de même une belle prestation de bout en bout.

Il faut enfin noter que la durée du spectacle, habituellement d’une heure et quinze minutes environ, est ici portée à une heure et quarante minutes, incluant de nombreux moments silencieux (par exemple Manfred qui se déshabille, puis se rhabille à l’envers comme un aliéné, veste sur les jambes et pantalon en écharpe autour du cou) ou d’autres instants presque silencieux quand la salle est plongée dans le noir et qu’on entend les bruits de la nature.

IF