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Chroniques
Médée
tragédie lyrique de Marc-Antoine Charpentier
Hervé Niquetet sonConcert Spirituel donnent cette rareté qu'est la Médée de Marc-Antoine Charpentier, créée sans grand succès – et du coup demeurée seul essai de son auteur dans le genre de la tragédie lyrique – à l'Académie Royale de Musique le 4 décembre 1693, recuite sept ans plus tard lors d'un incendie à Lille, puis totalement oubliée. Ressuscité au concert par Malgoire en 1976, au disque par Christie en 1984, l'année même où Bob Wilson en signait une mise en scène à Lyon, sous la battue de Michel Corboz, l'ouvrage fait ensuite l’objet de plusieurs productions : celle que Christophe Galland présente à Dinard en 1991, celle de Jean-Marie Villégier (et Christie à nouveau) faisant décidément date à Favart en 1993.
Il n'est certes pas aisé d'avoir à opérer des coupes dans une œuvre que l'on décide de défendre. Pourtant, Hervé Niquet le devait impérativement, surtout dans le cadre d'une exécution « de concert ». Les puristes n'y trouvent sans doute pas tout à fait leur compte, mais il vaut indubitablement mieux jouer l'incomplétude qu'alourdir une soirée au risque de desservir sa réception. Ainsi l'impasse faite sur le Prologue permet-elle d'entrer directement dans le vif du sujet, d'autant que les premiers pas de la scène initiale sont fastueusement introduits. Quelques omissions de sections purement divertissantes favorisent une plus vive concentration sur l'intrigue elle-même, ce qui n'est sans doute pas plus mal. Demeure le plus important : Niquet offre une lecture magnifiquement théâtrale qui soutient les chanteurs d'intentions parfaitement dramatiques, tout en colorant l'orchestre comme personne. Entendons nous bien : le son n'en est jamais gratuitement plastique, partant que la tragédie elle seule compte.
En revanche, le plateau vocal n’enthousiasme guère.
Les rôles secondaires s’avèrent plutôt bien tenus, puisque Benoît Arnould donne une certaine assise à la Vengeance, Arcas et un Argien, la Jalousie de Nicolas Bauchau se montrant tout à fait honorable, tandis qu’Anders Jerker Dahlin – que nous avions eu grand plaisir à entendre à Lausanne l'an passé [lire notre chronique du 2 janvier 2004] – offre les avantages d'une diction exemplaire, d'un chant sans faille et d'une belle clarté de timbre à un Démon, un Captif de l'Amour et un Corinthien. Hanna Bayodi (Cléone) est satisfaisante bien qu'un rien volatile, et Chantal Santon (Nérine), sans affirmer la belle forme vocale qu'on put lui connaître, est attachante.
On ne pourra pas en dire autant des cinq figures de tête.
Surmontant salutairement une tendance à l'afféterie constatée dans certaines de ses prestations,Bertrand Chuberre campe un Oronte d'une louable franchise artistique, libérant un haut-médium d'autres fois trop précautionneusement couvert. João Fernandes propose un Créon exclusivement sonore, se contentant de distribuer des graves certes splendides, mais dont la réclame ne suffit pas à construire une interprétation. C'est assez désolant : la voix est riche, l'émission évidente, mais la phrase n'est jamais réellement menée, les intervalles demeurent approximatifs et, mis à part quelques roulements d'yeux dont on se passerait avantageusement, le chanteur n'accorde aucune consistance dramatique au rôle. Possédant de vrais moyens, ce n'est là sans doute que péché de jeunesse… Suffit-il d'un bel aigu et d'un physique pour chanter Créuse ? Magali Léger possède l'un et l'autre et les utilise fort bien, abandonnant la phrase et le texte à eux-mêmes s'ils ne comportent pas d'évidentes prouesses. Attachée à la seule performance, et en cela plus minaudière encore que les sourires qu'elle compose en attendant la prochaine réplique, sa prestation tient de l'anecdote. Avec une grande intelligence du texte, un raffinement indéniable du style et une véritable sensibilité, François-Nicolas Geslot semblait le Jason rêvé… dans l'ensemble, sa proposition tient la route, mais souffre d'un inquiétant manque de souplesse et d'un placement vocal parfois hésitant, voire étrange.
Enfin, malgré une diction parfois imprécise et une ornementation souvent trop appuyée, Krisztina Szabó [photo], perce l'écran en Médée, grâce à une exacerbée. D'un timbre épicé qu'elle colore naturellement par une déclinaison parfaite des intentions du personnage, elle domine le concert, réussissant à faire peser les arguments de son héroïne avec tant d'émotion qu'il pourrait être à supposer que le public se rende à sa cause.
BB