Chroniques

par laurent bergnach

A-Ronne II
spectacle d’Ingrid von Wantoch Rekowski

Agora / Centre Pompidou, Paris
- 11 juin 2006
A-Ronne II, spectacle d’Ingrid von Wantoch Rekowski d'après Luciano Berio
© alice piemme aml

« La signification musicale de A-Ronne est simple, à savoir qu'elle est commune à toute expérience du discours quotidien au théâtre, où les changements d'expression supposent et expliquent les changements de signification. C'est pourquoi je préfère définir cette œuvre comme un documentaire sur un poème d'Eduardo Sanguineti, comme l'on parlerait d'un documentaire sur une peinture ou un pays exotique. » La passion de Luciano Berio (1925-2003) pour la littérature, l'art dramatique et la poésie transparaît dans nombre de ses œuvres, mais particulièrement dans ce documentaire radiophonique pour cinq acteurs, créé en 1974, qui nécessite nul autre instrument que la voix.

Exposant trois thèmes (Commencement, Milieu, Fin), le poème original est construit sur des citations en différentes langues, tirées de sources variées : l'Évangile selon Saint Jean, monologue de Faust, Dante, Marx et Engels, Barthes, etc. Berio s'en empare et construit sa pièce par référence au madrigale rappresentativo de la Renaissance – révolution musicale qui, loin de célébrer le sacré, fit place à l'expression des passions humaines. Pour sa libre transposition renommée A-Ronne II, Ingrid von Wantoch Rekowski a tenu compte de ce contexte historique : dans un clair-obscur, cinq personnages silencieux en costume d'époque, bien caractérisés (la femme-tronc, la duègne, le mignon), apparaissent tour à tour, avec leur tic, pour prendre place sur des sièges disparates, de styles divers.

La partition peut alors se dérouler, assemblages hétérogènes de chant, de manifestations physiologiques (hoquet, rire gras) ou sociales (minauderie), de chuchotements intimes ou de déchaînements animaliers (grognement, aboiement, hululement). À part un dialogue en japonais qui semble réaliste même si le sens nous échappe, les échanges sont saugrenus, loufoques, toujours inattendus, surtout quand la polyphonie se déploie après des intermèdes minimalistes. Comme le rappelle la créatrice du projet (Bruxelles, 1996), le geste, la mimique jouent ici un rôle fondamental, et le travail de Dominique Grosjean, Sophia Leboutte, Annette Sachs, Pietro Pizzuti et Gaëtan Wenders apparaît d'autant plus remarquable qu'il ne peut laisser place à l'improvisation. Comme pour une comédie burlesque bien réglée, le rire est donc au rendez-vous.

LB