Chroniques

par vincent guillemin

Luciano Berio | Sinfonia
Orchestre national de Lille dirigé par Matthias Bamert

Le Nouveau Siècle, Lille
- 6 juin 2013
Matthias Bamert dirige l’Orchestre national de Lille : Sinfonia de Berio
© ugo ponte | orchestre national de lille

Si nous commençons par parler de la salle rouverte en janvier dernier, ce n’est pas pour occulter l’excellente prestation de l’Orchestre national de Lille, mais parce qu’elle mérite largement les quelques lignes qui suivent en tant que l’une des plus belles acoustiques d’Europe. Proust écrivait déjà il y a cent ans que la France était sous-équipée en salles de concert par rapport à l’Allemagne, mais la situation évolue ces dernières années avec l’ouverture récente de plusieurs philharmonies. Quelque peu occultée par l’inauguration de l’Auditorium de Bordeaux au même moment, Le Nouveau Siècle a été pensé par la même équipe acoustique dirigée par Eckhard Kahle, et si les calculs comptent beaucoup, il reste toujours un peu de magie faisant sonner correctement ou non un espace de plus de mille huit cent places. Il semble que la magie ait pris à Lille où le beau coffret en bois de l’architecte Pierre Louis Carlier renvoi un son clair, hyper détaillé et sans aucune compression.

Les grandes salles façonnant les grands orchestres, c’est bien un grand Orchestre national de Lille que nous entendons, sous la direction de Matthias Bamert. La rare Sérénade K.320 « cor de postillon » de Mozart permet de profiter d’un groupe pétillant où les attaques franches des cordes répondent avec brillance à une très bonne petite harmonie, dont il faut saluer la flûtiste Chrystel Delaval. L’œuvre n’est pas une pièce-maîtresse du compositeur encore salzbourgeois où le symbole du cor de postillon signifie certainement l’adieu à son protecteur, le prince-archevêque Hieronymus de Paula von Colloredo-Mannsfeld, par lequel il sera congédié deux ans plus tard en 1781. Elle permet de profiter d’un style déjà très personnel et parfaitement sûr, et donne à entendre un cinquième mouvement au ton noir rappelant déjà certains accords du Requiem. L’intervention du cor de postillon à l’avant-dernier mouvement fait sourire et donne le ton provocateur et humoristique de l’œuvre, qu’on écoute ici avec plaisir en se disant toutefois qu’elle est loin des chefs-d’œuvre composés par la suite.

D’un tout autre niveau de qualité intrinsèque est la Sinfonia de Luciano Berio, que nous ne pensions pas réentendre aussi rapidement [lire notre chronique du 16 mai 2013]. Dès les premières mesures se fait sentir l’affect du chef avec cette musique et les rapports qu’il eut avec l’École de Darmstadt. Proche de Pierre Boulez dans sa vision de l’œuvre, il s’en détache par la dynamique qui rappelle plus Riccardo Chailly et l’enregistrement de référence (Decca). Particulièrement précis, l’orchestre joue sans faille une partition complexe dont les textes de Lévi-Strauss, Joyce ou Valéry sont magnifiés par les London Voices, bien mieux intégrés qu’à la Cité de la musique. Leur implication très anglaise et leur diction quasi parfaite, parfaitement spatialisée par l’ingénieur Hugh MacDonald, n’apporte que le seul reproche d’un volume parfois légèrement surélevé.

Michel Tabachnik avait fait entendre en détail les collages écrit par Berio entre la Deuxième de Mahler, La mer de Debussy et Le sacre du printemps de Stravinsky ; Matthias Bamert nous insère intégralement dans l’œuvre et laisse finalement beaucoup plus de place à l’émotion qu’à la réflexion. En revanche, à parler d’une œuvre déjà « classique » il y a trois semaines nous étions peut-être ambitieux compte tenu du nombre d’abandons, plus d’une trentaine de spectateurs quittant le lieu pendant la Sinfonia. La barre atteinte par cette interprétation sera dure à égaler, et nous ne pouvons que convier le public (d’ici et de là) à venir découvrir l’Orchestre national de Lille dans son nouvel écrin.

VG