Chroniques

par bertrand bolognesi

Les Paladins et le Chœur de chambre de Namur
Te Deum and Jubilate, music for the Peace of Utrecht

Contrepoints 62 / Collégiale Saint-Pierre, Aire-sur-la-Lys
- 22 septembre 2013
à la Collégiale Saint-Pierre d'Aire-sur-la-Lys, l'Utrecht Te Deum de Händel
© sébastien jarry

Sur l’image ci-dessus se laissent admirer les musiciens de bois du buffet baroque de l’orgue de la Collégiale Saint-Pierre, à Aire-sur-la-Lys, commune où nous entendions hier le récital de Maude Gratton, en la Chapelle Saint-Jacques et Saint-Ignace [lire notre chronique de la veille]. Pour fort dignement orner aujourd’hui la tribune de St-Pierre, sa dentelle fut à l’origine remarquablement sculptée en 1633 par le menuisier Gérard Sibriecque pour la vaste et puissante Abbaye de Clairmarais, non loin de là, qui, après quelques six siècles de rayonnement, fut détruite à la Révolution – au printemps 1793, son ultime abbé fut arrêté par la Terreur ; du domaine de Clairmarais ne demeurent à présent que la ferme et la ruine de l’église. Acheté par la paroisse, l’instrument fut installé ici il y a deux cent vingt ans, et vécut plusieurs restaurations depuis (1840, 1965 et 1986).

Assis à ses claviers, cet après-midi : Benjamin Steens, musicien belge, titulaire des grandes orgues de la basilique Saint-Rémi de Reims et responsable de l’instrument de l’Église Saint-Martin de Vertus, terre viticole qui, au royaume des bulles, produit encore un précieux rouge « tranquille ». Sous ses doigts, Johann Sebastian Bach ouvre chacune des parties de ce concert, avec la Fantaisie en sol majeur BWV 572 pour commencer, clairement ouvragée par un son remarquablement défini, puis par la Pastorale en fa majeur BWV 590, dans une fort belle interprétation.

Strictement contemporains – tous deux sont nés en 1685 à quelques dizaines de lieues l’un de l’autre – les Saxons Bach et Händel ne connaîtraient pas du tout la même carrière. C’est principalement au deuxième que se consacre le programme du jour, et plus particulièrement à la commande qui lui fut faite par la dernière souveraine Stuart, Anne, pour célébrer la Paix d’Utrecht qui mettait un terme à la Guerre de Succession d’Espagne. Les 11 avril et 13 juillet 1713 (il y a donc tout juste trois cents ans) étaient signés des traités décisifs, plus que favorables à l’Angleterre, et c’est le jour même de l’apposition du sceau sur le second que les Utrecht Te Deum HWV 278 et Jubilate HWV 279 étaient créés à Saint-Paul de Londres. Cinq mois plus tôt était donnée l’Ode for the birthday of Queen Anne HWV 74 qui occupe toute la première partie de notre troisième rendez-vous avec Contrepoints 62, festival passionnant et fort énergiquement porté par Sébastien Mahieuxe, son jeune directeur.

Nous retrouvons Jérôme Corréas et ses Paladins, ensemble auquel s’associe pour l’occasion l’excellentissime Chœur de chambre de Namur. L’Ouverture s’inscrit dans une impulsion hardie que nourrissent des attaques plutôt rondes – « aimables », pourrait-on dire –, et se conclut dans une danse gracieuse. D’emblée le dessus Jean-François Lombard ravit l’écoute, dans la partie d’alto : voix précise, émission idéale, sans oublier une conduite exemplaire de l’intonation. S’ajoutent à ses qualités une vocalise agile, effectuée dans un contrôle souple, et un art indéniable de la nuance. D’abord satisfaisante, avec son inflexion so british, le soprano Salomé Haller perd assez vite de sa superbe au fil de l’exécution. À l’inverse, le mezzo Mélodie Ruvio, d’abord mal assuré avec des ornements fort instables, gagnera peu à peu un chant honorable. Le jeune baryton Jean-Christophe Fillol offre un timbre avantageusement cuivré mais une expression encore assez tendu, dans les premiers pas du concert.

Au fameux Te Deum d’Utrecht d’alors sonner sous la voûte. Dans une inflexion toute italienne, Corréas en livre une version un rien guindée. Décidément, Lombard fait merveille, ici rejoint par Thibaut Lenaerts, ténor tendre à souhait. L’éclat de la trompette transcende le ton pour le Jubilate, avec sa fugue en quatuor vocal où Fillol dénoue une voix qu’il a belle. Contrepoints 62 est loin d’être fini ; à ne pas manquer : le Te Deum de Colin de Blamont (Montreuil-sur-Mer, le 4 octobre) et le récital d’orgue d’Iain Farrington (le 12, à Saint-Omer).

BB