Chroniques

par bertrand bolognesi

Bach, père et fils
récital Maude Gratton, clavecin

Contrepoints 62 / Chapelle Saint-Jacques et Saint-Ignace, Aire-sur-la-Lys
- 21 septembre 2013
devant ces nuages en gloire, Maude Gratton joue Bach au clavecin
© sébastien jarry

Après une ouverture flamboyante en la cathédrale Notre-Dame des Miracles [lire notre chronique de la veille], Contrepoints 62 poursuit sa promenade par les villages du Pas-de-Calais. Depuis sept ans (huitième édition), ce festival parcourt le territoire d’église en églises, et surtout d’orgue en orgues, déterminant même parfois la restauration de certains (comme celui de Saint-Pol-sur-Ternoise, entièrement relevé par Laurent Plet puis inauguré dans son nouvel état en juillet 2012). Durant trois week-ends, dix-sept concerts occuperont douze édifices sis dans les communes d’Aire-sur-la-Lys, Auchy-lès-Hesdin, Auxi-le-Château, Boulogne-sur-Mer, Montreuil-sur-Mer, Nielles-lès-Ardres, Oignies, Saint-Omer, Saint-Pol-sur-Ternoise et Tournehem-sur-la-Hem, explorant le répertoire depuis les temps baroques jusqu’à l’aujourd’hui (Miserere de Thierry Pécou, le 5 octobre).

Située entre plaine de Frandre et monts d'Artois, Aire est une charmante petite cité autrefois fort convoitée, tant pour la fertilité de sa terre que pour sa position commerciale stratégique. Dans ce pays au cœur des luttes pour la Succession d’Espagne, elle connut une présence jésuite, comme de nombreuses localités alentour, les soldats de Jésus garantissant rempart contre la Réforme. De 1682 à 1688, le collège jésuite édifie la Chapelle Saint-Jacques et Saint-Ignace, dans le respect de la charte architecturale de la Compagnie. De fait, dès qu’on en passe la porte, l’autel capte irrésistiblement le regard par d’incroyables nuages en gloire [photo].

C’est là que la jeune claviériste Maude Gratton donne un récital de clavecin, avant de prêter main forte à la redécouverte d’une cantate de Graupner, le soir même, à quelques dizaines de mètres plus loin. Après l’Adagio en sol majeur adapté de la Sonate pour violon BWV 968 de Johann Sebastian Bach, un rien nerveux, nous entendons trois extraits du Wohltemperierte Klavier dont l’inflexion souverainement méditative du Prélude en fugue en ut # mineur BWV 849 retient particulièrement l’écoute, de même que l’élégante diaphanéité choisie du Prélude en fugue en mi majeur BWV 854. La Suite anglaise en la mineur n°2 BWV 807 convainc moins, mais sans doute est-ce dû aux conditions acoustiques – plutôt qu’à la croisée du transept, dont les proportions « gaspillent » par nature le son émis, peut-être n’aurait-il pas été malvenu d’inverser la donne en plaçant l’instrument en début de nef, juste après le narthex, afin de concentrer la projection.

Après une Fugue en ut de Wilhelm Friedemann Bach (le premier fils), nous retrouvons le père pour le Ricercare a tre voci du musikalische Opfer, dans une interprétation secrètement respirée, de grande tenue. Avec une maestria médusante, Maude Gratton se lance ensuite dans l’exécution fiévreuse de la Polonaise en fa majeur Fk.12/10 de l’héritier, enchainée à la fort belle Fantaisie en ré mineur Fk.19. Quittant définitivement la période baroque, elle conclut son récital avec trois sonates de Domenico Scarlatti… dont le cantabile ferait indéniablement meilleur miel sur un pianoforte.

BB