Chroniques

par bertrand bolognesi

Les Curiosités Esthétiques
quatre Trios de Joseph Haydn

Arsenal / Église Saint-Pierre-aux-Nonnains, Metz
- 18 octobre 2016
Les Curiosités Esthétiques en concert à St-Pierre-aux-Nonnains (Metz)
© bertrand bolognesi

Après avoir servi la musique de Carl Philipp Emanuel Bach, au concert comme au disque, Les Curiosités Esthétiques se concentre sur celle de Joseph Haydn, via quelques-uns de ses Trios. Au clavier, on retrouve Aline Zylberajch, fidèle à ses passions puisqu’en 2006 déjà elle nous parlait des répertoires de transition, des pages qui menèrent le baroque tardif aux bases d’un classicisme à venir, via CPE Bach, précisément, tout en s’étonnant alors d’un « pourquoi ne joue-t-on pas plus en France les magnifiques trios de Haydn ? » [lire notre entretien].

Dans le cadre de la foisonnante saison de l’Arsenal de Metz, Les Curiosités Esthétiques se produit en l’Église Saint-Pierre-aux-Nonnains [photo], désormais consacrée aux arts (l’on y donne des concerts, mais encore y vernit-on des expositions) après avoir été, au fil du temps, établissement thermal, lieu de culte, abbatiale et même entrepôt militaire. Et c’est précisément à lancer le premier volume de son intégrale discographique des Trios d’Haydn que s’attelle l’ensemble. À géométrie variable, l’ensemble comptera donc trois de ses membres, à l’œuvre dans quatre pages du compositeur.

Il faut un certain temps pour s’adapter à l’acoustique particulière de l’édifice roman : elle favorise trop la flûte, au détriment des autres sources – peut-être aurait-on dû oser contredire la configuration chambriste traditionnelle, gagnant meilleur équilibre en plaçant violoncelle et flûte à l’arrière du pianoforte, mais ce n’est pas garanti… Dès l’Allegro du Trio en sol majeur Hob.XV :15, une grâce mutine séduit l’écoute, par la louable dextérité des ornements, au clavier comme au bois, le travail sensible de la dynamique et une fin pleine d’esprit. Pas dramatique pour un thaler, l’Andante s’avère toutefois discrètement élégiaque, laissant de plus belle l’Allegro moderato virevolter, à quelques froncements violoncellistiques près, dans un cordial badinage que le jeu de suspension, si cher à l’auteur – sa marque de fabrique, pour ainsi dire – rend presque drôle.

« Dernier maillon de la chaîne avant la mort de la viole de gambe » : ainsi Étienne Mangot décrit-il le baryton, un instrument fort à la mode à Londres dans le dernier tiers du XVIIIe siècle et dont jouait le prince Esterházy, protecteur d’Haydn. La riche sonorité du baryton, que nous avions beaucoup appréciée au Printemps des arts de Monte-Carlo il y a deux ans [lire notre chronique du 22 mars 2014], gagne la voûte par le Trio en ut majeur n°109 dans une version adaptée par nos interprètes, le clavier rassemblant les parties de violon et d’alto. Sans l’impératif flûtistique, l’acoustique élit maintenant cet instrument curieux sans masquer le pianoforte. Passé le bref sentiment d’étrangeté et quelques aigus véloces à virages difficiles, le Menuet final flatte d’une habile amabilité. Délicatement nuancé, le climat sombre du trio central, parfois aux confins du silence, infléchit une inquiétude subtile. La reprise de la danse est d’autant plus vive.

Dans l’élégant Moderato initial du Trio en ré majeur n°91, le baryton est par moments utilisé alla chitarra, le manche du réseau sonnant par sympathie laissant à l’arrière une ouverture qui permet de pincer ou frotter les cordes métalliques. L’oreille s’est-elle si bien habituée que l’imaginaire sonore rétablirait l’idéal ? À moins que l’acoustique préfère décidément cet instrument au violoncelle, le déséquilibre des timbres constaté dans le premier opus semblant alors s’être évanoui pour le charmant Menuet et l’étonnant Presto conclusif.

De fait, à retrouver le premier effectif dans le Trio en ré majeur Hob.XV :16, c’est d’évidence Saint Pierre qui choisit et non l’écoute qui rectifierait. La joie communicative du brillant Allegro s’amuse une nouvelle fois avec ces interruptions surprenantes, mais aussi par une modulation incessante. Le pianoforte dépose pas à pas les facettes d’un Andantino faussement simple dont la clarté investit bientôt le grain du violoncelle. C’est pourtant la flûte de Jean-Pierre Pinet qui respire ce chant triste – seule les enfants ont la tristesse aussi juste ! Dans des sonorités raffinées, les musiciens échangent le thème varié jusqu’à son extinction interrogative : le supplante un Vivace au ton plutôt bonhomme et d’une forme complexe, irrésistiblement inventive.

BB