Chroniques

par françois cavaillès

Le nozze di Figaro | Les noces de Figaro
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart

Théâtre du Capitole, Toulouse
- 15 avril 2016
reprise au Capitole de Toulouse des Noces de Figaro de Marelli
© david herrero

Il n'est jamais trop tard pour un inoubliable voyage dans le temps en parcourant cette grande place du Midi alors animée par une jeune Nuit debout, plongée en plein rêve d'une autre société, unie sous le regard tranquille du Capitole et de son théâtre. Entrez, et oyez les clameurs d'une arène vertigineuse, phénix de l'opéra français toujours bien en prise, vingt ans après sa dernière grande réfection, avec la vie culturelle toulousaine et sa riche tradition lyrique ! En ce soir de reprise de Nozze di Figaro coproduites avec l'Opéra de Lausanne, refait apparition l'insaisissable spectre de l'amour selon Mozart et da Ponte. Peut-être plus étrange encore : la mise en scène très classique de Marco Arturo Marelli, au vrai charme suranné, ornée d'imposants costumes et peintures d'époque, et l'interprétation internationale bien de nos jours, quelque avis qu'on en ait, semblent faites pour cette salle au pouvoir enchanteur.

Au temple du bel canto, l’amateur de bravoure applaudit d'abord le coffre, la vélocité et la volonté du baryton uruguayen Dario Solari, un habitué du Capitole. Satisfaction semblable devant le Bartolo de Dimitri Ivachenko, basse russe démonstrative et comique à l'avant-scène, roulant les r avec justesse, dans l'aria de la vendetta. Au cœur de ces prestations si réjouissantes pour les connaisseurs, car prévisibles, suivant strictement la chronologie de la folle journée dans un registre buffa sans embardée philosophique, règne sur l'Acte III le Comte du baryton nord-américain Lucas Meachem, sublime d'intensité dramatique [lire notre entretien d’avril 2010 à propos de Billy Budd et notre chronique du 17 janvier 2014]. Il tonitrue un instant jusqu'au Paradis, alors que la Comtesse s'attribue en toute beauté le II : il s'agit du soprano biélorusse Nadine Koutcher, déjà à son avantage dans le Guillaume Tell genevois à l'automne [lire notre chronique du 11 septembre 2015] et ici en nette progression, mélodieuse et lyrique à souhait dans les airs, mais encore souveraine dans le jeu de scène – le Capitole a peut-être retrouvé une grande interprète de ce beau rôle d'intercesseur en faveur du demi-dieu Mozart, sur les traces de Ninon Vallin en 1941.

Susanna s'affirme comme une femme forte, incarnée avec foi par le soprano allemand Anett Fritsch, au contraire du Cherubino du jeune mezzo norvégien Ingeborg Gillebo qui laisse étrangement une impression timorée et monotone. Le numéro-surprise vient du soprano suisse Jeannette Fischer dont la singulière Marcellina, fougueuse et embourgeoisée, se fait aguicheuse, révoltée par le manque d'amour : pour séduire quelques spectateurs bien surpris, elle arpente le parterre dans l'air Il capro e la capretta – applaudissements garantis !

Finalement, le dernier acte confirme l'ambivalence des réactions possibles au bout de ces Noces aussi élégantes que forcées, farce poussive pour les uns, pour les autres régals de course-poursuite vocale, aux chants puissants mais aussi contrastés. Si l'Orchestre national du Capitole dirigé par Attilio Cremonesi réserve heureusement les instants de grâce musicale attendus, la scénographie ne montre pas clairement, dans les jardins du château, le chassé-croisé amoureux génial et si touchant, d'une évidence universelle et indélébile. Réputés pour leur amour des grandes voix avant tout, les passionnés toulousains n'y seraient tout de même pas aveugles.

FC