Chroniques

par laurent bergnach

Laurent Petitgirard
Joseph Merrick dit Elephant Man

1 DVD Marco Polo (2004)
2.220001
Laurent Petitgirard | Joseph Merrick dit Elephant Man

Chef d'orchestre et compositeur né en 1950, Laurent Petitgirard propose, avec Joseph Merrick dit Elephant Man, sa première œuvre lyrique, entamée en mai 1995, achevée en décembre 1998. C'est Nathalie Stutzmann qui en créera le rôle-titre, sur disque, au printemps 1999.« J'ai toujours voulu écrire un opéra dont le personnage central serait double, confie l’intéressé. [...] L'idée d'utiliser un sujet qui puisse toucher chacun de nous et de ne pas tomber dans le piège du livret hermétique était pour moi essentielle. » La captation a eut lieu en novembre 2002 à l'Opéra de Nice, soit quelques mois après sa création à l'Opéra d'État de Prague.

Il fallait une bonne dose de naïveté ou de roublardise au compositeur pour choisir, avec son librettiste Eric Nonn, et après le film de Lynch, l'histoire de Joseph Merrick. En 1980, l'originalité du personnage, son traitement cinématographique (noir et blanc, référence au cinéma hollywoodien des années quarante) servent d'électrochoc pour transmettre la morale de l'œuvre, sur la tolérance et le respect des différences. Le plaidoyer est toujours d'actualité, mais plus de cinquante ans après Peter Grimes, comment oser revenir à la trogne de patate de Merrick en pensant émouvoir ? Herculine Barbin, sa contemporaine, avait sans doute plus de choses à nous dire...

Si on décide d'aborder l'opéra sans à priori, d'en apprécier l'ambiance victorienne plutôt réussie (décors et costumes de Frédéric Pineau), on y repère cependant, assez vite, d'agaçants plagiats (même cagoule, même casquette pour Merrick) avant de réaliser l'indigence et le grotesque d'un tel projet, victime de plus des faiblesses du livret. Comment tient-on en haleine le spectateur deux heures quarante-cinq avec un univers manichéen – des références christiques appuyées par la mise en scène pas toujours bien inspirée de Daniel Mesguich... – où le gentil Merrick, qui a toujours travaillé, n'a jamais réclamé charité ou pitié, est désigné comme un homme dès le départ, même par son patron ? Le message délivré au bout d'une demi-heure, la suite tourne vite en rond, à l'image des photographes du troisième acte. Pareil pour la musique de Petitgirard : si une ambiance mystérieuse, bien maîtrisée, s'installe dès le départ, on ne sort pas d'une certaine tension récurrente, traitée sans personnalité. On s'ennuie...

Heureusement, les voix sauvent un peu le spectacle du naufrage. Si l'émission de Jana Sykorova (Joseph Merrick) paraît laborieuse et dépourvue d'expressivité, le timbre est agréable. Robert Breault est un showman vaillant dans les aigus, mais sa diction est approximative.Nicolas Rivenq (Docteur Treves) semble d'abord terne et essoufflé avant de trouver puissance et assurance au sortir du premier acte. La voix claire et ample de Valérie Condoluci fait sensation ; avait-on besoin de la ridiculiser – robe fendue et décolleté pigeonnant – en infirmière se collant au dos de Merrick, aux jambes du Docteur ? Elsa Maurus (Eva Lükes) et Nicolas Courjal (Carr Gomm) sont excellents dans des seconds rôles... qu'ont aurait pu supprimer du livret. Magalie Léger (la Colorature en visite) apporte un peu de fantaisie dans cet hôpital publique tristounet ; la partition la force à une hystérique tension vocale qui nous sort enfin de la léthargie pour nous rendre compatissant.

LB