Chroniques

par gilles charlassier

L’Nfer (un point de détail)
soirée pop’art de François Sarhan

Présences vocales / Théâtre national de Toulouse
- 20 novembre 2015
L’Nfer (un point de détail), soirée pop’art de François Sarhan à Toulouse (2015)
© dr

Si l'on peut blâmer les facilités du jeu des coïncidences, force est d'admettre que la création L’Nfer (un point de détail) de François Sarhan entretient avec le hasard des liens singuliers. Présenté au Théâtre national de Toulouse par éOle, instigateur de l'évènement, et le Capitole, son partenaire, dans le cadre du cycle Présences vocales – le premier volet n'était autre que le diptyque Bartók/Dallapiccola en ouverture de saison [lire notre chronique du 2 octobre 2015] –, l'objet sonore et scénique, qu'il est délicat de qualifier d'opéra, retrace l’arrivée à Londres le 7 juillet 2005, pour rencontrer le photographe Martin Parr, du compositeur des Champs magnétiques de Jan Švankmajer [lire notre chronique du 27 septembre 2012]. La réalité des attentats qui viennent alors d'ensanglanter la capitale britannique va infléchir un séjour qui s'achève par une réflexion sur la mort et l'absence. Autant dire qu’une semaine tout juste après les massacres parisiens du vendredi 13, la production résonne avec une particulière autant qu'imprévisible acuité.

Créé à l'Arsenal de Metz en 2006 par l'ensemble Ictus, l'ouvrage avait divisé par son format iconoclaste mêlant un matériau hétérogène qui va de la déclamation aux souvenirs de rock expérimental – l'effectif fait, entre autres, appel à guitare, basse et synthétiseur – en passant par les transformations électroacoustiques et les excentricités vocales du télé-évangéliste confiées à un Jakob Bloch Jespersen habile en changements de registres. Pastiches et citations ne manquent pas dans ce collage qui renouvelle, sans l'imiter vraiment, l'héritage de Berio, et brouille les limites usuelles des genres comme les hiérarchies entre savant et populaire. En cela, l'ensemble SCENATET, qui reprend le spectacle pour la Ville Rose, se révèle d'une admirable virtuosité.

La construction du récit met en relief les interventions plus « lyriques » des personnages extérieurs, dont le baryton précédemment nommé se fait l'intercesseur, en contraste avec le flux narratif incarné par le compositeur en personne, lisant ses notes au plus près des intonations de la parole. Pour étranger qu'elle pourrait sembler au théâtre musical, dont elle ignorerait presque le qualificatif, une telle recherche n'est pas sans rappeler (toutes différences esthétiques et temporelles mises à part) celle de Janáček : la poétique plutôt que la poétisation du quotidien, sinon du banal.

Aux deux tiers du spectacle, l'artifice de l'anglais, celui du tourisme, cède la place au français, tandis que le discours musical se fait silence : devant la reconnaissance d'une photo de disparu, le show sonore devient obsolète. La nudité des mots se fait méditation sur la disparition et l'oubli, sur fond d'images de tombes, de pierres, de mousses et de lierres qui les recouvrent, jusqu'à un ultime projecteur sur l'interprète avant le noir conclusif. Avec des moyens peut-être inhabituels pour certaines traditions, François Sarhan rejoint une catharsis que l'on éprouve au sortir de toute œuvre théâtrale ou lyrique authentique.

GC