Chroniques

par bertrand bolognesi

Kurt Masur dirige l’Orchestre national de France
Benjamin Britten | War Requiem Op.66

Festival de Saint Denis / Basilique
- 4 juillet 2007

En s'attelant à la composition du War Requiem, dont au printemps 1962 la création consacrerait la nouvelle cathédrale de Coventry, dramatiquement intégrée dans les décombres de son aînée bombardée, Benjamin Britten affirme plus que jamais un antimilitarisme qui ne lui avait valu que mépris durant les années précédentes. Faisant se croiser les épisodes attendus de la liturgie et les vers de Wilfred Owen – poète qui rencontra la mort à l'automne 1918, à l'âge de vingt-six ans –, son œuvre analyse l'histoire, révélant ainsi tout ce que la Seconde Guerre Mondiale dut à la première. L'on a beaucoup raconté les premières des symphonies Leningrad et Stalingrad de Chostakovitch, vécues dans l'émotion insoutenable de souvenirs encore si proches ; on imagine bien, malgré les dix-sept ans qui le séparent d'Hiroshima, l'impact de ce Requiem de guerre dans une architecture où Spence force la mémoire.

En hommage à Mstislav Rostropovitch qui dirigea cette page dans la Basilique, le 22 juin 1994, Kurt Masur conduit ce soir l'impressionnant effectif qu'elle requiert. Les textes en langues anglaises sont distribués à deux voix masculines que le compositeur a systématiquement mises en exergue dututti par le biais d'un concertino. Le soprano, quant à lui, se fondra dans le chœur, sorte de point de rencontre entre tous les protagonistes musicaux, à travers une écriture faite de plaintes plutôt que de développements.

Olga Guryakova confirme ce soir l'impression laissée par la Jenůfa de Nantes [lire notre chronique du 4 mars 2007] : la voix s'élargit, trouvant un gras nouveau, et demande qu'on la canalise. Le Liber Scriptus accuse une grande déperdition de moyens. De même le Lacrymosa donne-t-il le sentiment que l'artiste se trouve fragilisée par un instrument qui, depuis quelques mois, signale d'autres repères. Quoi qu'il en soit, Guryakova se révèle magnifique dans le Sanctus où s'offrent suavité du grave et fulgurance de l'aigu.

Toujours entendu avec plaisir, le baryton Hanno Müller-Brachmann [lire nos chroniques des 31 octobre 2003 et 14 juin 2004] ne semble pas à son aise dans les premiers pas de Bugles sang, sadd'ning the evening air. On retrouve la chaleur attachante de son timbre, la facilité de l'aigu, mais le haut-médium, lorsqu'il est attaqué piano, n'est pas stable. Après un cordial duetto avec le ténor – Out there, we've walked quite friendly up to Death –, le chant s'assouplit et, peu à peu, se sécurise, de sorte que la fin du Sanctus émeut, ainsi que le fort dépouillé récit des réconciliations des ennemis, partagé avec le ténor.

Plus présent sur nos scènes, Paul Groves paraît tout simplement idéal dans la partie que Britten réserve au ténor [lire notre chronique du 2 juin 2004]. Après quatre vers d'une clarté exemplaire, No mockeries for them from the prayers or bells (glissé dans le Requiem aeternam) dessine une proximité étonnante avec le texte. La conduite du chant se fait alors intime, présentant des choix judicieux de voix mixte, et la toujours sensible s'avère dynamique. Après de nombreuses interventions d'une grande évidence, le début recueilli de l'Agnus Dei – soit One ever hangs where shelled roads part – impose une prestation remarquable que vient couronner la douceur déconcertante du récit des ennemis (Libera me). Cette clarté que nous évoquions se fait complémentaire du velouté du baryton, scellant les réconciliations dans un sommeil éternel que démontre sans effort l'In paradisum choral.

À la fiabilité de la Maîtrise de Radio France, dirigée par Toni Ramon, répond un Chœur de Radio France (préparé par Stephen Jackson) qui a du mal à convaincre. On notera que l'approche est prudente, mais que l'acoustique trouble malgré tout le rendu. Il doit être aussi difficile à l'auditeur de percevoir précisément ce chœur qu'à celui-ci de maîtriser son art. Quoi qu'il en soit, on goûte la gestion soignée du crescendo du Requiem aeternam, avortant pudiquement ses proportions, et la splendeur du nu et calme Kyrie. Efficacement intériorisé, le Dies Irae oppose un Quantus tre-mor scandé, rythmique, interrompu par des salves de cuivres parfaitement réalisées, scansions dévorées par la Basilique. Plus tard, le fugato de l'Offertoire s'y perdra tout autant.

À la tête de l'Orchestre national de France, Kurt Masur est tour à tour précis et articulé, puis plus flou, dans une hauteur de vue édifiante qui contraste avec le concertino fait silex par Fabien Gabel. La dramaturgie de l'œuvre s'impose, et particulièrement l'invasion du récit biblique du geste d'Abraham faisant offrande à Dieu de son fils, malgré la désignation par l'ange d'un bélier de substitut ; le serein commentaire du chœur d'enfants saisit l'écoute – comme touche la redite de l'enfance sacrifiée dans l'univers personnel de Britten –, s'éteignant dans l'aigre épaisseur de l'orgue. Profitant de la coloration orientale du Sanctus, d'un sombre Recordare (Agnus Dei), l'interprétation de Masur s'apaise naturellement dans l'Amen du Libera me, comme il se doit.

BB