Chroniques

par françois jestin

Jakub Józef Orliński chante Bononcini, Boretti, Cavalli, Conti, etc.
Francesco Corti dirige Il Pomo d’Oro

Opéra Grand Avignon / Opéra Confluence
- 28 septembre 2020
le contre-ténor polonais Jakub Józef Orliński sévit encore en Avignon...
© honorata karapuda

Au Festival d’Aix-en-Provence Le jeune contre-ténor Jakub Józef Orliński (trente ans en décembre prochain) s’est fait connaître en 2017 dans l’opéra Erismena de Cavalli [lire notre chronique], ainsi qu’à l’occasion d’un air chanté pour France Musique, durant l’évènement : appelé la veille pour un remplacement, il débarque à l’émission en short, baskets et chemise ouverte… après tout, on peut bien s’habiller léger et décontracté pour une prise de son en pleine chaleur estivale ! Mais – surprise ! – une batterie de caméras est également en place et la vidéo fait ensuite rapidement le buzz… trois millions de vues sur Facebook et YouTube ! Il faut dire que sa voix angélique [lire notre chronique du 26 février 2017] y fait merveille et que le jeune homme est aussi breakdancer*. Sa notoriété part alors en flèche.

Depuis, le nom a trouvé sa place sur les affiches lyriques des plus grandes maisons d’opéra. Il a pu enregistrer deux disques, O, Anima sacra puis Facce d’amore, tous deux bénéficiant de l’accompagnement de l’ensemble Il Pomo d’Oro. À l’Opéra Confluence – la salle provisoire, située à côté de la gare TGV, avant qu’Opéra Grand Avignon regagne le théâtre en centre-ville, début 2021 –, il retrouve des musiciens issus de la même formation orchestrale, pour un programme tiré de son dernier CD qui propose un large panel de l’état amoureux : amour heureux, béat, douloureux… Il est à noter que l’interprète ose sortir des sentiers battus, en rappelant que sept plages sur les dix-huit du CD étaient enregistrées en première mondiale.

Comme sur le disque, le concert démarre avec l’air Erme e solinghe extrait de La Calisto de Francesco Cavalli. La voix est ferme et chaude, émise dans une acoustique favorable, bien équilibrée entre les musiciens et le chanteur. Aux cordes frottées et pincées, les six musiciens sont placés sous la direction de Francesco Corti qui assume également les parties de clavecin. Chi scherza con Amor, air d’Eliogabalo de Giovanni Antonio Boretti, montre une souplesse vocale naturelle, à l’aise sur toute la tessiture, capable d’enfler certaines notes sans aucun effort apparent : bref, une voix saine et agréablement projetée, à la musicalité impeccable. Le soliste met de la vie dans son interprétation, mais la gestuelle reste plutôt sobre, comme dans le plus tranquille Crudo amor, non hai pietà, extrait de Claudio Cesare du même compositeur. En passant à l’Aminta de Giovanni Bononcini avec Infelice mia costanza, le contre-ténor polonais paraît prendre un plaisir gourmand à varier nuances, couleurs, valeurs des notes, émettant certaines a capella sans le moindre vibrato, amenant davantage de puissance par-ci, laissant s’éteindre d’autres fins de phrases par-là.

Après un joyeux Ballo dei Bagatellieri de Nicola Matteis, effectivement très dansant, on retrouve le chanteur et ses qualités dans Odio, vendetta, amor, tiré de Don Chisciotte in Sierra Morena de Francesco Bartolomeo Conti : attaques mordantes, maîtrise des grands écarts de la partition, mais les traits d’agilité les plus rapides manquent un peu de fluidité. L’air suivant, Finche salvo e l’amor suo, issu de Scipione il giovane de Luca Antonio Predieri, lui convient mieux, oscillant entre des aigus aériens et des notes sombres émises dans le grave en voix de poitrine.

En trois mouvements, le Concerto a quattro de Pier Antonio Locatelli est le morceau de choix parmi les pages orchestrales de la soirée, chaque instrumentiste jouant avec ampleur et paraissant s’épanouir sereinement, pour former un son collectif fort riche. Le dernier morceau du programme, Che m’ami ti prega du Nerone de Giuseppe Maria Orlandini et Johann Mattheson, montre à nouveau le soliste à son meilleur. La virtuosité demandée n’est pas supersonique et il se joue des différents registres et des nuances, entre voix de tête et voix de poitrine.

Les artistes ne se font pas longtemps prier pour accorder trois bis. C’est d’abord Händel qui fait son apparition avec Agitato da fiere tempeste tiré de Riccardo Primo, où les vocalises coulent cette fois avec naturel et abattage. Le deuxième bis provient du premier album d’Orliński : Alla gente a Dio diletta, venu d’Il Faraone sommerso de Nicola Fago, est un air plus doux qui lui donne l’occasion de laisser planer la voix sur un souffle avant de reprendre avec force certains petits passages. Devant un public conquis, le concert est conclu par la reprise de Chi scherza con Amor.

FJ

* à ce titre, Jakub Józef Orliński prête d’ailleurs son concours à de nombreuses
publicités pour les produits Danone, MAC Cosmetics, Nike, Levi’s, etc. [ndr]