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Chroniques
Il Trittico | Le triptique
opéra de Giacomo Puccini
Créé au Metropolitan Opera (New York) en 1918, en l’absence de Puccini, Il Trittico a rarement été donné dans son intégralité en France. À Paris, il faut remonter à la mise en scène de Jean-Louis Martinoty, en 1987, à l’Opéra Comique. Puccini déplorait que l’on séparât les trois parties de l’œuvre, l’idée d’un triptyque lui trottant dans la tête depuis 1904. C’est en 1919, en allant au Grand Guignol voir un cycle composé d’un drame horrible, d’une tragédie sentimentale et d’une farce, que lui serait venue la forme de son propre Triptyque.
Comment donner un lien à trois œuvres composées unitairement par Puccini mais dont ne sont similaires ni la chronologie ni l’argument ni le genre ni le lieu? Il Tabarro est un drame passionnel qui tutoie le vérisme sur fond de quais de Seine au début du XXe siècle. La tragédie mystique Suor Angelica se passe dans un couvent du XVIIe siècle, tandis que Gianni Schicchi, d’après une allusion du Chant XXX de L’Enfer de Dante, est une farce burlesque dans la Florence médiévale. Le fil rouge de ces trois histoires pourrait être la damnation, chaque héros étant sûr de finir en Enfer : le premier pour avoir tué, la deuxième pour avoir enfanté hors du mariage, le troisième pour avoir manigancé un faux testament.
Dans cette fausse nouvelle production donnée à l’Opéra national de Paris – elle avait déjà été créée en 2008 à la Scala de Milan pour les cent cinquante ans de la naissance du compositeur ; le DVD est d’ailleurs disponible [lire notre critique] –, Luca Ronconi ne fait pas preuve d’une grande invention. Avec sa scénographe Margherita Palli, il traite chaque acte selon une seule diagonale allant de jardin à cour, diagonale envahie par un élément décoratif imposant, qui devient le symbole de l’histoire. Pour Il Tabarro, c’est la péniche sur laquelle va s’accomplir le crime ; pour Suor Angelica, c’est la statue d’une Vierge bleue et blanche au sol ; pour Gianni Schichi, c’est un lit couleur des flammes de l’Enfer. Dans le fond du décor, une niche fait apparaître le ciel, une vierge à l’enfant ou le dôme de Florence. Un résultat trop statique, excepté dans Gianni Schicchi qui, heureusement, réussit par une direction d’acteurs vivace à susciter la vis comica de l’œuvre.
Vocalement, la production alterne vétérans et chanteurs moins connus.
Dans la première catégorie, Juan Pons est deux fois à l’affiche : son Michele laisse entendre une voix fatiguée alors que la théâtralité de Schicchi lui permet de déployer un jeu d’acteur qui gomme les défauts de la voix [sur son incarnation toulousaine des mêmes rôles, lire notre chronique du 5 mai 2006]. La puissance de Marco Berti, Luigi convaincant, et d’Oksana Dyka (Giorgetta) leur permette de s’imposer, ce qui n’est pas tout à fait le cas de Tamar Iveri (Suor Angelica). Il faut dire que le soprano n’est pas avantagé une mise en scène qui impose de chanter à plat ventre une bonne partie de son grand air Senza Mamma. Même type de problème pour Amel Brahim-Djelloul (Suor Genovieffa) : on reconnaît sans peine son timbre fruité, mais la voix se perd dans l’immensité du plateau. Tous les seconds rôles de Gianni Schicchi sont excellents : on suivra avec intérêt Saimir Pirgu (Rinuccio), ténor très prometteur, et Ekaterina Syurina qui compose une Lauretta simple et juste.
Le mérite de la réussite de cette production revient principalement à Philippe Jordan dont l’interprétation ravit à chaque instant. Sa direction est à la fois ample et précise. Souvent poétique, elle rend avec finesse l’orchestration subtile de Puccini.
IS