Chroniques

par irma foletti

Histoire du soldat
mimodrame d’Igor Stravinsky

Opéra Grand Avignon / L’Autre Scène, Vedène
- 14 novembre 2020
"Histoire du soldat" en boîte à Opéra Grand Avignon...
© cédric & mickaël | studio delestrade

Donné en direct sur la chaine YouTube d’Opéra Grand Avignon et ouvert à de rares journalistes, le mimodrame d’Igor Stravinsky est représenté ce samedi à L’Autre Scène, salle de Vedène où l’institution propose régulièrement des spectacles en plus petite forme que les grands ouvrages du répertoire. Avant le début de la pièce, Frédéric Roels [lire notre chronique de La bohème], le nouveau directeur de la maison, prend la parole pour rappeler que l’œuvre de Stravinsky fut créée en 1918, soit aux temps de la grippe espagnole, cette autre terrible pandémie mondiale. En nos jours très troublés, il affirme aussi la volonté de maintenir les arts vivants en offrant à domicile, grâce aux technologies à disposition, le travail des artistes.

Entre musique, texte de Charles Ferdinand Ramuz et pantomime, on sait qu’Histoire du soldat n’est pas stricto sensu à classer dans la catégorie opéra. En l’occurrence, il s’agit ici plus précisément d’une représentation de danse donnée sur l’enregistrement de la version de 2018 des récitants Didier Sandre, Denis Podalydès et Michel Vuillermoz, sous la direction musicale de Jean-Christophe Gayot, Olivier Charlier assumant la partie de violon solo.

La chorégraphe Eugénie Andrin situe l’action dans une chambre d’enfant, un garçon en pyjama joué par Anthony Beignard, qui se lève au son du réveil pour s’habiller en soldat. En découvrant le décor de Laurent Castaingt aux tons légèrement bleutés, lit à droite, coffre à jouets au fond, peluches au sol le long des parois et quelques-unes suspendues au plafond, on ne peut s’empêcher de penser à L’enfant et les sortilèges. Mais le parallèle avec l’opus de Maurice Ravel et de Colette s’arrête à l’entame, lorsque l’enfant joue avec ses petits soldats et que quatre danseurs se mettent en marche au pas cadencé. Ici, le diable campé par Ari Soto est un clown à perruque orange, ce qui pourrait contribuer à alléger encore la partie drame du mimodrame. Toutefois le texte de Ramuz reste, méchamment grinçant, le plus souvent noir et maléfique, et peut amener une double lecture du spectacle : indiqué aux enfants pour sa partie visuelle, mais réservé à des oreilles d’adultes.

Les mouvements évoluent au cours du spectacle, la marche des soldats, à l’allure martiale, devient de moins en moins militaire, avec quelques petits soubresauts de pantins. Cela tourne plus tard au music-hall avec la princesse d’Anne-Sophie Boutant, un clone de Marilyn Monroe en blonde peroxydée et robe blanche. Avant cela, les trois gardes du jardin du roi évoquent davantage Alice aux pays des merveilles, dans leurs habits blancs de cartes à jouer – reine, sept et dix de cœur. En tout cas, la chorégraphie colle en permanence à l’ouvrage et l’on relève de très beau moments, par exemple un couple, incarné par Aurélie Garros et Paul Gouven, qui s’enlace sur le lit pendant que le clown-diable porte, tire, traine au sol l’enfant-soldat inanimé.

Au dénouement l’on pense rejoindre L’enfant et les sortilèges et son dernier maman salvateur : l’enfant émerge du cauchemar quand sa mère, donnée par Noémie Fernandes, lui apporte un petit gâteau d’anniversaire et un paquet cadeau. Mais en l’ouvrant, le garçon sort une poupée de clown aux cheveux orange… aïe, on dirait encore la victoire finale du démon !

Le spectacle devrait être disponible en replay dans quelques jours sur le site d’Opéra Grand Avignon.

IF