Chroniques

par irma foletti

La bohème
opéra de Giacomo Puccini

Opéra Grand Avignon / Opéra Confluence
- 18 janvier 2019
La bohème de Puccini, vu à l'Opéra Grand Avignon, en janvier 2019
© cédric et mickaël | atelier delestrade

Opéra Grand Avignon a passé commande d’une nouvelle production, pour La bohème, montée pour deux représentations dans la salle provisoire Opéra Confluence, pour sa deuxième année d’utilisation pendant les trois ans que doivent durer les travaux de rénovation du théâtre, en centre-ville. Les réalisateurs Frédéric Roels et Claire Servais se demandent dans leur note d’intention « comment raconter à l’opéra une histoire d’artistes pauvres ? » avant de proposer de « faire fi de tout élément spectaculaire du décor… ». Objectif réussi, avec un plateau en effet dépouillé à l’extrême où, plutôt que de la chambre sous les toits des Bohèmes, il s’agit d’un vaste espace nu dans les tons blancs, d’une très grande hauteur sous plafond. L’imagerie traditionnelle de l’œuvre est maintenue, un poêle à droite, Marcello pinceau en main devant sa toile et Rodolfo en poète absorbé par ses pensées. Le mobilier est aussi réduit au minimum : quatre petites caisses utilisées comme tables aux actes I et IV, une enseigne Momus au II, un fond de couleur rouge, des séries d’ampoules suspendues sous les cintres et une table avec quatre chaises pour asseoir les protagonistes. L’acte suivant de la Barrière d’Enfer n’est pas plus spectaculaire qu’au quartier latin : deux parois en angle figurent l’auberge et les quelques flocons de neige parviennent difficilement à donner la sensation de froid, tout comme la chambre mansardée, d’ailleurs. Pour l’acte final, Schaunard et Colline ont la bonne idée de ramener un matelas qui accueille, à même le sol, la pauvre Mimi mourante.

Du point de vue vocal, la représentation est handicapée par la contre-performance de Davide Giusti, distribué en Rodolfo. Déjà vu ici-même au printemps dernier dans La traviata [lire notre chronique du 8 juin 2018], nous redoutions, à vrai dire, de réentendre le ténor italien dans un nouveau rôle d’importance. Le volume est minuscule, couvert rapidement par ses collègues chanteurs ou musiciens, mais là ne s’arrêtent pas ses problèmes, comme une justesse aléatoire et des décolorations passagères du timbre. Il parvient à se faire entendre dans l’air Che gelida manina, salué par aucun applaudissement, puis fait l’objet d’une annonce pour indisposition après l’entracte. Il n’est certes pas ce soir « dans la plénitude de sa voix », et nous en resterons à ce que nous écrivions en juin dernier. Nous lui préférons de très loin le baryton Philippe-Nicolas Martin, en Marcello, sans doute la plus belle qualité de voix ce soir, timbre riche et bien projeté, avec un vibrato proche de l’idéal [lire notre chronique du 9 juin 2017]. L’autre baryton, Boris Grappe (Schaunard), se montre également sonore, voire robuste par moments, plus brillant dans l’aigu que dans le grave [lire nos chroniques du 23 juin 2006, du 8 novembre 2013, du 4 avril 2016 et du 23 mars 2018]. Avec ses moyens, le baryton-basse David Ireland chante intelligemment, en particulier Vecchia zimarra où le grave n’est pas abyssal mais suffisamment bien exprimé, tandis que Grégoire Fohet-Duminil dessine avec justesse la caricature des deux personnages, Benoît puis Alcindoro.

Côté féminin, Olivia Doray compose la Musetta que le public attend, piquante, agile, de l’abattage dans le geste et le chant [lire nos chroniques du 28 novembre 2009, du 4 décembre 2012 et du 5 décembre 2017]. Quant à Ludivine Gombert distribuée en Mimi, elle possède de beaux atouts à faire valoir, à commencer par une voix très musicale, pleine et homogène sur l’étendue de la tessiture [lire nos chroniques du 27 avril 2010, du 9 juillet 2011 et du 7 juin 2016]. Mais l’interprétation montre aussi une homogénéité des volumes et des nuances, jusque dans l’Acte III où l’on attend davantage de contrastes entre les forte et piano. La chanteuse rompt cependant ce trait d’uniformité au dernier acte en osant certains pianissimi et en faisant passer l’émotion. Il faut signaler l’initiative dans la mise en scène, de placer à ce moment les enfants de part et d’autre du plateau, une bougie à la main lorsque Mimi est allongé sur le matelas. Comme on le sentait venir, ils soufflent leur flamme et s’en vont à l’instant précis où la vie de Mimi s’éteint. Ces jeunes membres de la Maîtrise de l’Opéra Grand Avignon sont absolument impeccables, tout comme le Chœur, dans le deuxième acte du Quartier latin, parfaitement coordonnés entre eux et toujours dynamiques sur les départs.

Passées les quinze premières secondes d’un début d’anarchie musicale, où les cuivres ont visiblement besoin d’un réglage, la direction du chef Samuel Jean est une réussite, par ses intentions, ses choix de nuances et de tempi. La musique est bien présente, d’un certain volume mais en évitant – sauf exception – de couvrir les chanteurs. Certains pupitres flattent l’oreille plus que d’autres, comme le superbe violon solo ou les très jolis passages du xylophone. Malgré les quelques imperfections décrites ci-avant, les dernières mesures prennent toujours autant aux tripes : Mimi déjà morte depuis un moment, Rodolfo qui interroge ses amis et cette attaque aux cuivres relayés par les cordes, qui fait passer le frisson, entre le « Coraggio ! » de Marcello et les « Mimi, Mimi ! » déchirants de Rodolfo.

IF