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Chroniques
Händel, Pergolesi et Vivaldi par Bruno de Sá et Carlo Vistoli
Thibault Noailly dirige l’Orchestre national d’Auvergne
La splendide maison de l’avenue Montaigne affiche complet le tout premier rendez-vous de sa cent-dixième année d’exercice, avec deux jeunes étoiles du baroque, Bruno de Sá et Carlo Vistoli, au service de compositeurs de la première partie du XVIIIe siècle. Tout commence dans l’entrain et la joie par l’hymne Gloria in Excelsis Deo HWV deest pour soprano, deux violons et basse continue, attribué, depuis sa récente découverte en la bibliothèque de la Royal Academy of Music (Londres), à Georg Friedrich Händel. Dans un costume rose bonbon, le sopraniste Bruno de Sá offre une belle tenue de ligne, des vocalises précises et un timbre onctueux [lire notre chronique d’Alessandro nell’ Indie]. La voix se fait vibrante et d’un tragique assuré, puis de porcelaine au deuxième mouvement, plus sombre, saccadé et lent, mené par l’Orchestre national d’Auvergne. Un climat étrange s’instaure, terne et en faux rythme, peut-être indice d’une œuvre de jeunesse. Mais l’émission soyeuse de Bruno de Sá en soutient la virtuosité vocale, digne du génie de Halle et ovationnée après la conclusion pyrotechnique.
Le cœur bat plus fort, encore, avec le Concerto pour violon, cordes et basse continue en ré majeur « Il Grosso Mogul » RV 208 d’Antonio Vivaldi. Au début martelé comme déployé, l’équilibre s’opère entre la complexité technique des motifs et l’allant général, l’Allegro initial innervé par l’intensité de Thibault Noailly, premier violon qui se charge de la direction musicale. Vitesse, mélodie et densité, notamment à travers les évolutions de la cadence du finale, sont fort entraînantes, si bien que cette composition du jeune Vivaldi, mystérieuse commande, trouve aujourd’hui un accueil très favorable.Le mérite majeur en est de préparer au sommet du concert, à savoir le motet Vos invito, barbarae facies RV 811 (Je vous appelle, torches barbares) pour contralto, cordes et continuo, au destin d’exhumation semblable à celui du Gloria händélien.
Quelle mise à feu, sèche, par l’orchestre, tout d’abord, puis enflammée comme la vocalise de Carlo Vistoli, faisant vrombir une époustouflante musique de combat, au caractère fier et chevaleresque qu’accentue le contreténor bolognais, dans un serment ardent et pugnace ! Pour que résonnent si terribles l’écho et le charme du Vivaldi éternel, en artiste expérimenté Vistoli continue de se bonifier avec le temps [lire nos chroniques du 9 juillet 2017, du 8 septembre 2020 et du 25 juillet 2022], mettant toutes voiles dehors pour des traits maîtrisés, refermant le premier mouvement avec panache. Habile comédien, l’interprète brille dans le récitatif suivant (Ergo impii tiranni), tandis que les cordes servent un prélude ample et ondulant à souhait. Tout proches de l’un des trésors opératiques de Vivaldi, poème et chanteur sont extrêmement expressifs au second aria (Sunt delitiae), dont la mélodie principale est superbe, servie par une ligne vocale aussi ample qu’audacieuse. L’élégant envol du dernier vers puis la reprise savoureuse du prélude scellent la marque du grand art encore poursuivi par les musiciens, toujours plus captivants jusqu’au terme délicat de l’aria... avant l’Alleluia en bombe à fragmentation, d’un chant bien étiré mais aussi truffé d’impulsives vocalises, cabrées tel un cheval sauvage !
Enfin le Stabat Mater de Pergolesi, à ses premières notes de velours, exerce sur le public médusé sa fascination séculaire, comme la bouffée d’un air pur où quelques notes semblent doucement crucifier la victime avant l’entrée du duo, large comme un grand chœur, les timbres fondants dans un soupir antidépresseur. Sobre et exact paraît Bruno de Sá, puis lyrique et emporté dans le Cujus animam gementem, plus saignant et bien cadencé, avec de beaux effets de volume. Maître mélodiste, le compositeur trouve un interprète idéal dans le sopraniste brésilien, plein de tact. Le duo traverse avec réussite ce chef-d’œuvre désorientant, se montrant tour à tour cordial, obséquieux et libérateur. De même l’Orchestre national d’Auvergne et Thibault Noailly ne déméritent-ils pas en retraçant les méandres de ce singulier fleuve musical particulièrement émouvant en ses ambivalences. Après une ovation monstre, le bis réserve un moment de joie bienvenu avec l’extrait de Tilge, Höchster, meine Sünden BWV 1083, adaptation du Stabat Mater par Johann Sebastian Bach.
FC