Chroniques

par irma foletti

Götterdämmerung | Crépuscule des dieux
opéra de Richard Wagner

Deutsche Oper, Berlin
- 14 novembre 2021
Donald Runnicles joue "Götterdämmerung", dernier acte du "Ring" de Wagner
© bernd uhlig

Suite et fin du Ring mis en scène par Stefan Herheim, dont les propositions auront eu un peu de mal à convaincre [lire nos chroniques de Das Rheingold, Die Walküre et Siegfried]. Le démarrage de cette Götterdämmerung change pourtant des images précédentes, avec une reproduction du foyer de la Deutsche Oper, son grand mur de bois sombre et la sculpture animée Alunos-Discus de George Baker. Le mobile s’élève dans les airs pour se confondre avec les nuages, mais très vite s’effectue un retour au piano central, avec son lot de grands voiles blancs. Brünnhilde et Siegfried s’y reposent en sous-vêtements et, dans la même tenue, des hommes et femmes, placés autour d’eux, les applaudissent pour saluer leur réveil.

Quelques idées sont originales, comme lorsque Siegfried et Gunther portent chacun le Tarnhelm – un masque de clown aux mêmes expressions que le visage d’Alberich – pour aller enlever Brünnhilde. Ils se partagent alors le texte à tour de rôle, Gunther s’allonge auprès d’elle et Siegfried lui retire l’anneau. Hagen sort de scène au premier acte, traverse la salle au premier rang du parterre et prend la place d’une femme qui se lève : il s’agit de Waltraute qui dès lors marche lentement vers le plateau. Hagen reste également assis à cette place en début de deuxième acte, pour répondre à la question de son père, Schläfst du, Hagen, mein Sohn?, dos tourné au public, favorisant un effet acoustique justement nébuleux. Encore un peu plus tard, cet homme en feu marche sur scène sans que l’on comprenne véritablement la signification.

Certains leitmotiv de la réalisation visuelle reviennent à satiété, en particulier les valises, les grands voiles et les sous-vêtements blancs, la lumière qui s’allume de temps à autre en salle, le piano dont joue parfois un personnage. L’assemblée des dieux habillés de diverses couleurs et suivant différents styles (Romains, Croisés, Vikings, etc.) réjouit l’œil, mais tout ce monde termine immanquablement en petite tenue, balançant habits, armures et casques dans le piano avec Siegfried pour l’embrasement final. L’assassinat du héros est, par ailleurs, à rattacher au style gore : non content de l’avoir tué, Hagen lui tranche la tête et c’est à celle-ci dans ses mains que Brünnhilde s’adresse avant la conclusion de l’opéra.

La distribution vocale est sans doute la meilleure des quatre épisodes, avec d’abord le couple formé par Clay Hilley (Siegfried) et Nina Stemme (Brünnhilde) en très grande forme, tous deux dotés d’une projection puissante. Certains aigus du soprano suédois sont insolents, dont quelques notes en limite du cri. Nouveau venu dans l’équipe, et assurant un remplacement, l’Hagen d’Albert Pesendorfer remplit son office en basse très noire et souvent effrayante. Entre frère et sœur, la Gutrune d’Aile Asszonyi est sonore tandis que le baryton Thomas Lehman caractérise fort bien Gunther, bien qu’accusant sans doute un léger déficit de décibels lorsqu’il chante à la suite de certains de ses confrères. En Alberich, Jordan Shanahan fait montre de mordant dans ses courtes interventions. La Waltraute d’Okka von der Damerau est une splendeur, pour le grave profond et naturel, ainsi que le timbre radieux, projeté vigoureusement, sans avoir l’air de forcer. Les ensembles des trois Filles du Rhin et des trois Nornes sonnent agréablement, plusieurs titulaires doublant les rôles : Meechot Marrero (Woglinde), Karis Tucker (Wellgunde et la Deuxième Norne) et Anna Lapkovskaja (Flosshilde et la Première Norne), Aile Asszonyi assurant la Troisième Norne.

Entrant par la salle, le Chor der Deutschen Oper Berlin fait preuve de générosité, mais sans excès toutefois. Dirigée par Donald Runnicles, la musique est sur cette même ligne, alternant entre délicates mélodies pour de rares instruments et les climax attendus dans cette partition. Après l’embrasement final, où lumières rouges et fumées s’échappent du piano, c’est le retour à l’état initial – plateau nu – qui révèle tous les dispositifs techniques et l’instrument abandonné. Une femme passe le balai et donne un petit coup de chiffon. Ovation pour les artistes lors du salut final… sauf pour Stefan Herheim et son équipe qui reçoivent de franches huées.

IF