Chroniques

par irma foletti

Siegfried
opéra de Richard Wagner

Deutsche Oper, Berlin
- 12 novembre 2021
Donald Runnicles joue "Siegfried", opéra de Wagner, au Deutsche Oper
© bernd uhlig

Seule nouvelle production de Stefan Herheim au cours de ce premier cycle du Ring des Nibelungen, dont l’ordonnancement des créations a été passablement perturbé par la crise sanitaire, Siegfried commence plutôt bien. Au sein d’un paysage modelé fait de valises, quatre poteaux et un toit s’élèvent pour bâtir l’antre de Mime, des instruments de la famille des cuivres accrochés au plafond. Valises et grands soufflets en extrémités des poteaux se déploient en accordéons pour activer la forge. On reste dans la classique imagerie wagnérienne pour remettre en état l’épée Nothung.

Au deuxième acte, le dragon Fafner produit son effet : lumières d’écailles vertes, deux gros yeux sortent des valises à l’arrière et, à l’avant-scène, une petite armée de figurants agitent des voiles blancs puis combattent Siegfried à l’aide de pavillons de cuivre. À l’évocation des parents du héros, Sieglinde et Siegmund apparaissent en anges blancs aux grandes ailes, tandis que le Waldvogel a les allures d’un Siegfried miniature, à la chevelure blonde. Mais les choses se gâtent au troisième acte, malheureusement. D’abord avec le retour de la foule aux valises, vue précédemment. Comme au spectacle, ces hommes et femmes assistent au réveil de Brünnhilde, puis, au cours du long duo, des personnages en sous-vêtements copulent, comme pour montrer le mode d’emploi aux novices. Un problème technique ajoute à la déconcentration du spectateur : un voile s’est coincé dans le piano omniprésent d’où, à plusieurs, l’on s’évertue à le tirer… sans grand succès.

Le nouveau venu, Clay Hilley en Siegfried, inquiète un peu, pour commencer. S’il possède bien les notes et le style du rôle, la partie grave est peu sonore. Mais dès que le ténor pousse ses aigus, on apprécie le caractère réellement héroïque de son chant. L’artiste accuse une petite baisse de régime au début du duo final, puis retrouve un certain brillant pour parvenir jusqu’à la dernière note. Admirée sans réserve lors de la journée précédente [lire notre chronique de l’avant-veille], la Brünnhilde de Nina Stemme ne paraît pas à son meilleur dans sa courte apparition, qu’on sait extrêmement exigeante, sans possibilité de chauffer la voix. Rien de très flagrant toutefois, mais on détecte certaines tensions et de petits moments d’inconfort.

Le Wotan d’Iain Paterson semble également moins épanoui que dans Die Walküre. Le grain du baryton-basse conserve sa noblesse mais paraît moins impacté, avec les notes les plus graves parfois confidentielles. L’Alberich de Jordan Shanahan impressionne davantage par sa projection plus brillante [lire nos chroniques de Das Schloß Dürande et de Rigoletto]. Après un passage par Hunding, Tobias Kehrer réincarne Fafner de ses graves profonds. On est heureux d’entendre à nouveau l’instrument riche et sombre du contralto Judit Kutasi en Erda. Tenu par Ya-Chung Huang, le rôle de Mime est bien plus développé ce soir qu’au prologue, et c’est une chance. Le ténor fait preuve de mordant vocal, d’abattage théâtral ainsi que d’endurance, déguisé en Wagner lui-même, se débarrassant de chapeau, perruque, faux nez et rouflaquettes, comme par une mise à nu, avant d’être tué par le jeune homme à la fin de l’Acte II. On tue d’ailleurs plus que d’ordinaire dans cette mise en scène, Siegfried assassinant l’Oiseau et Wotan s’occupant d’Erda. Enfin l’on apprécie Sebastian Scherer, soprano-garçon en Waldvogel, une voix blanche tout à fait en situation pour ce rôle dans lequel nous n’avions personnellement entendu jusqu’à ce jour que des soprani féminins.

Donald Runnicles continue de dérouler les splendeurs de la partition. On entend, certes, de fugaces imperfections aux cuivres, mais l’ensemble est appliqué et souvent rutilant. Au rideau final, l’équipe chargée de la réalisation visuelle ne vient pas saluer, chose curieuse pour une soirée de première.

IF