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Chroniques
Fabrice Pierre dirige l’Atelier XX-21
Conservatoire de Bologne et CNSMD de Lyon
À 20h mercredi 4 décembre, l’éclatement d’une canalisation située Montée de l’Observance dans le 9e arrondissement de Lyon provoque un glissement de terrain et un éboulement partiel de la colline surplombant le CNSMD, entrainant sur son passage plusieurs milliers de mètres cubes de terre, de soutènement et d’eau. Non sans émoi est évacuée, par mesure de sécurité, une petite centaine de personnes restée sur place (dont les occupants de la résidence). Fort heureusement, aucune victime n’est à déplorer. Néanmoins, au moment où nous écrivons cette chronique la menace pèse toujours sur l’extension moderne du bâtiment historique et rend inaccessible, jusqu’à nouvel ordre, la salle Varèse (auditorium de la maison) et les départements de percussion et de composition. Coup dur pour le conservatoire – comment maintenir une année de concerts, de cours, de concours, etc. sans ce bâtiment précieux et dans un contexte difficile ? – et coup dur pour le Festival Invenzione Berio à quelques coudées de sa Nuit Laborintus, cœur de sa programmation.
Ne manquant pas de ressources et pouvant compter sur d’efficaces partenaires, le CNSMD maintient in extremis l’événement en trouvant refuge au Toboggan, Centre Culturel de Décines, dans la périphérie nord. Tous les concerts d’Invenzione n’auront cependant pas cette chance puisque l’intervention des classes du département de direction de chœur (Janequin, Berio, Dallapiccola), prévue in loco mardi prochain, est tristement suspendue.
Malgré ce sauvetage, le contenu de notre soirée, initialement décliné en trois temps de concert, cède la place à une formule unique. Qu’on se rassure, l’œuvre éponyme de cette « nuit » (Laborintus II) figure bien au menu, ouf ! Si l’essentiel semble préservé, il faut abandonner (notamment pour des raisons techniques) Naturale pour alto, tam-tam et dispositif électronique (1985-86) de Luciano Berio, son O King pour voix et cinq instruments (1967) et de l’ultime pièce du compositeur français Luc Ferrari, Morbido Symphony pour onze instruments et sons mémorisés (2007).
Est-ce le froid, ce bouleversement de dernière minute, cette externalisation forcée, voire une concurrence avec le lancement de la fête des illuminations ?... toujours est-il qu’un peu déçus nous trouvons une salle loin d’être pleine et à l’acoustique assez sèche. Avant d’aller plus loin, soulignons le professionnalisme et la détermination des équipes du conservatoire à maintenir, contre vents et marées, un programme cohérent et toujours engageant. D’ailleurs, cette morosité, sûrement liée à la bise arctique qui sévit au dehors, s’estompe rapidement dès l’entame du Bal champêtre d’Opus Number Zoo de Berio (1951) – il faut dire qu’un renard y invite une poule à la danse. Cette pièce pour quintette à vents, sur des textes de Rhoda Levine déclamés par les instrumentistes, propose quatre saynètes musicales dont les protagonistes sont tour à tour renard, cheval, souris grise et deux matous. Nos cinq musiciens s’emparent avec malice de ces fragments à l’humour parfois grinçant, dans un réel souci de mise en scène. Nous avons presque toujours le sourire aux lèvres et nous réjouissons de les voir investir si talentueusement la scène et endosser sans mal ce ton « décalé ». Un bon moyen de lancer ce concert !
Sont également données à entendre deux pièces de Cristina Landuzzi et Leilo Camilleri, professeurs au Conservatorio di musica Giovan Battista Marinetti de Bologne. Dans son Il canto d’Orfeo pour flûte, hautbois, vibraphone et électronique, donné en création mondiale, Cristina Landuzzi construit et déconstruit son discours à partir de la ligne vocale du chant d’Orphée (tiré de la favola in musica de Monteverdi). Utilisé comme instrument concertant, et dans une écriture redoutablement virtuose, le vibraphone (dont la partie est assurée par Baptiste Ruhlmann, de la classe de Jean Geoffroy) développe l’essentiel du matériau et de la texture générale, tandis que les deux instruments monodiques, dont les interventions sont souvent couplées avec un traitement électronique en temps réel, viennent colorer les plages de résonnance du soliste. Mais le dispositif du soir (stéréophonique) ne permet qu’imparfaitement de rendre compte de la circulation du son permise par la transformation – nous imaginons une diffusion quadriphonique ou en 5.1, au moins.
Là encore, le conservatoire joue de malchance car malgré le beau travail des instrumentistes, cette création ne laisse qu’entrevoir le « son réel » de la pièce. Pietre Colorate pour ensemble et électronique en temps réel (2006) de Leilo Camilleri subit les mêmes désagréments. Si reste évidemment active l’idée fondatrice du passage progressif du son instrumental vers le « bruit » (avec ses étapes intermédiaires), les effets (locaux ou globaux) de réverbération, spatialisation, étirements et delays perdent, de facto, en visibilité.
Quittons pour quelques instants l’environnement électronique avec les Folks Songs (1964) de Berio, présentées en fin de première partie par le jeune mezzo-soprano Heloïse Mas, étudiante de la classe d’Isabelle Germain et Fabrice Boulanger (CNSMD), que l’on put entendre dernièrement en Sœur Mathilde de Dialogues des carmélites [lire notre chronique du 12 octobre 2013]. Comme toujours avant de les écouter, la sempiternelle question revient : comment donner vie à ces onze miniatures marquées à vie par l’empreinte vocale de Cathy Berberian (elles sont une ode à son intelligence d’interprète) ? Comment se défaire, avec toutefois le respect de mise, de ce spectre encombrant ? Et sommes-nous au fond dans l’attente d’une réponse à ces questions ? Sans nous laisser contaminer par le poids du modèle, nous apprécions tout particulièrement la vocalité claire, souple et équilibrée de cette version servie par une diction parfaite, dans toutes les langues invoquées. Par ailleurs, une belle maîtrise du texte offre à la chanteuse la possibilité de jouer avec les clichés interprétatifs imposés par les genres traversés – des options bien pertinentes. Si nous percevons, malgré tout, un léger manque de puissance dans les registrations graves, notons tout de même que la sècheresse du lieu n’aide en rien à la propagation.
Jusqu’alors confrontée à de petits effectifs chambristes (à l’exception de Pietre Colorate), la scène trouve toute sa mesure pour l’exécution de Laborintus II pour voix, effectif instrumental et bande magnétique (1965). Commande de l’ORTF dans le cadre des célébrations du sept centième anniversaire de la naissance de Dante, cette pièce demeure fascinante et déroutante à bien des égards. Comment caractériser cet itinéraire de près de trente-cinq minutes (labyrinthique, oui) entre extraits de la Divine Comédie et textes d’Edoardo Sanguineti et d’Ezra Pound, références montéverdiennes, théâtre musical et suite de gestes musicaux ? Difficile à dire, mais encore sous le choc de cette confrontation esthétique en live nous en recommandons l’expérience [lire nos chroniques du 11 mars 2004 et du 3 octobre 2009]. Le Toboggan a sauvé Laborintus ! Remercions-le et saluons le formidable travail de l’Atelier XX-21, décidément plus qu’actif sur ces célébrations, et des équipes techniques. Espérons que cet éboulement ne marquera pas trop durement la vie musicale de l’établissement.
Notre parcours festivalier s’achève là [lire nos chroniques des 2 et 3 décembre 2013], mais il est à noter qu’une pièce de Michele Tadini pour huit contrebasses et électronique (commande de Musica per Roma) sera donnée mercredi 18 et vendredi 20 décembre à l’Amphithéâtre de l’Opéra national de Lyon. À vos agendas !
NM