Chroniques

par bertrand bolognesi

Edward Elgar | The dream of Gerontius Op.38
Magdalena Kožená, Andrew Staples, John Relyea

Chœur et Orchestre de Paris, Daniel Harding
Philharmonie, Paris
- 21 décembre 2017
à Paris, Daniel Harding joue The dream of Gerontius Op.38 d’Edward Elgar (1900)
© julian hargreaves

Créé au vénérable Birmingham Triennial Musical Festival le 3 octobre 1900, The dream of Gerontius Op.38, oratorio écrit dans l’année par Edward Elgar à partir du poème éponyme du cardinal John Henry Newman (1865), n’a guère les honneurs du concert de ce côté-ci de la Manche. Avec à sa tête, pour la deuxième saison, un chef né à Oxford, l’Orchestre de Paris s’aventure sous cette impulsion vers un répertoire qui depuis trop longtemps nous demeure étranger. La sotte frilosité des responsables de programmations et, bien souvent, des musiciens eux-mêmes, conjuguée à un préjugé vivace quoique stupide à l’égard de toute autre production que les allemande, autrichienne, italienne et française, nous prive pareillement des musiques scandinaves et britanniques, celles venues d’Espagne et du Nouveau Monde trouvant meilleure audience, paradoxalement. Ainsi ce vaste The dream of Gerontius n’avait-il, à notre connaissance, jamais été joué par la phalange parisienne. Quant à nous, l’approche qu’on en put avoir résultait, jusqu’à ce soir, de cette curiosité sans cesse en éveil qui nous a menés vers des trésors discographiques, tous venus de la grande île – à l’exception de l’enregistrement d’Evgueni Svetlanov, sous label Мелодия. Ce nouveau rendez-vous avec Daniel Harding prend donc un jour particulier.

Le prélude frappe d’abord par une facture qui se souvient des poèmes symphoniques de Liszt, plutôt que de l’héritage wagnérien ou de quelque contemporanéité avec Gustav Mahler (cadet de trois ans d’Elgar). Rapidement, c’est un postromantisme debussyste qui surgit, avantageusement mâtiné du style tout personnel du natif du Worcs – certes, l’usage du leitmotiv s’impose, mais le célèbre Saxon, pour en avoir fait le grand principe de ses élaborations, jamais n’en fut le seul utilisateur (et moins encore le premier). À ceux qui trouveront quelques inflexions du Lied von der Erde dans la partie de ténor – à commencer par l’exigeante endurance qu’elle requiert –, il sera rappelé que cet opus fut conçu sept ans plus tard. Plusieurs fois saluée dans nos colonnes [lire nos chroniques du 22 janvier 2014, puis des 18 septembre et 21 décembre 2016], la clarté du chant d’Andrew Staples mène dans une douceur indicible les soli fervents de Géronte. Le relais du Chœur de l’Orchestre de Paris, préparé par Lionel Sow, se fond en un Kyrie eleison de velours. Puis, comme le fera War Requiem de Britten, six décennies plus tard, l’œuvre alterne latin et anglais. La scansion litanique d’un petit chœur d’une vingtaine de jeunes voix, devant le grand tutti choral, ajoute une épice à l’effet global.

Le baryton-basse John Relyea, peu stable sur la première intervention du Prêtre, se bonifie grandement au fil de la soirée, à la faveur d’un impact fort charismatique. En revanche, Magdalena Kožená ne semble pas la voix idéale : tour à tour éthérée ou alourdie, son émission, parfois même détimbrée, satisfait peu, surtout dans le registre bas, trop peu audible malgré une baguette prenant extrêmement soin de la dynamique orchestrale. Les meilleurs ambassadeurs de ce Dream of Gerontius « made in France » sont donc les choristes, qui, bien qu’encore loin des réalisations britanniques en la matière (nous n’avons pas leur belle tradition chorale, malheureusement), signent une livraison fort honorable, les instrumentistes en parfaite intelligence avec leur chef, enfin le ténor Andrew Staples, à la fois vaillant, souple et somptueusement nuancé.

À quiconque veut aller un peu plus loin que cette chronique, signalons que le concert est disponible jusqu’au 21 juin 2018 sur le site Arte Concert et conseillons deux belles gravures : celle de John Barbirolli avec le Hallé Orchestra (Warner) et, plus encore, celle d’Adrian Boult avec le Philharmonia (EMI), la partie de ténor y étant miraculeusement tenue par Nicolai Gedda. Andrew Staples chante dans la plus récente, signée Daniel Barenboim à la tête de la Staatskappelle Dresden (DECCA)… cependant des moins recommandables, il faut l’avouer.

BB