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Chroniques
Du chœur à l’ouvrage
opéra de Benjamin Dupé
Du chœur à l’ouvrage est un opéra pour voix d’enfants composé par Benjamin Dupé, qui en a également signé la mise en scène. Créé au Théâtre de Caen en mai 2017, puis repris en novembre à Montreuil, ce spectacle d’environ une heure et vingt minutes n’est pas uniquement à destination du jeune public, les spectateurs plus avertis peuvent goûter à l’intérêt des thèmes exposés et à la qualité professionnelle de la représentation. L’intrigue est originale : une chorale d’une quarantaine d’enfants, qui devait donner son concert de Noël, s’échoue sur une île déserte, dans un fracas de cris à gorge déployée. Les professeurs s’étant noyés, la question « que faire ? » se pose, en tout cas pour Noël, c’est « annulé cette année ! ». La réponse vient vite : « chanter ! » et la soliste Romy qui prend le pouvoir, qui tourne soudainement à la dictature lorsqu’elle impose à tous de saluer « plus bas, plus bas » son frère Jim, incarnant le nouveau divo. Mais la rébellion gronde (« zut, flûte, misère et crotte ») et aboutit à une entreprise de démolition : le chanteur vedette en perd sa voix (« j’ai du grain plein la voix, de la crasse dégueulasse »), puis bute sur les aigus d’un Stille Nacht chanté a cappella. Ses deux yeux sont alors le prix à payer pour retrouver son organe. Jim est donc transformé en aveugle à lunettes noires, tandis que les enfants entassent leurs vêtements en un grand tas. Le final est plus joyeux : Jim jette ses lunettes et gambade, les enfants sautent de joie et le bruit d’un hélicoptère salvateur se rapproche.
Les premiers triomphateurs de la soirée sont les jeunes choristes de la Maîtrise des Bouches-du-Rhône, collégiens pour la plupart, plein d’énergie dans leurs déplacements et de concentration lorsqu’il faut chanter. Ils sont très attentifs aux départs et aux nuances indiqués par le chef en fosse, Pascal Denoyer, à la tête de l’ensemble L’Instant Donné qui rassemble dix musiciens [lire nos chroniques du 27 novembre 2017, du 12 janvier 2013, du 18 novembre 2011 et du 21 septembre 2006]. La partition est variée, surprend souvent et remplit parfaitement l’espace sonore, même avec ce nombre réduit d’instruments, tout en collant au plus près aux situations dramatiques. Lors de la séquence de rébellion, la musique part en folie, les archets frappent, la pianiste gratte ses cordes et les percussions s’en donnent à cœur joie. Les changements de rythme maintiennent aussi l’intérêt, comme ce passage saccadé en fin d’ouvrage, pour une séance de gymnastique.
On peut tout de même émettre deux réserves, qui portent d’abord sur l’équilibre sonore entre scène et orchestre, dans ce spectacle amplifié : de nombreux bruitages émis par les enfants sont quasiment inaudibles, couverts par le son des musiciens. L’autre problème n’est pas facilement solvable par un réglage, puisqu’il concerne le livret écrit par Marie Desplechin. Pour le coup, nous ne tombons pas vraiment sous le charme du texte de ce grand nom de la littérature, amusant souvent mais parfois fort prosaïque, et surtout en décalage répété avec la musique. Une fois encore, n’est pas librettiste qui veut ! Ce spectacle reste cependant tout à fait recommandable aux petits et grands. Il est programmé en juin, en prélude à la nouvelle édition du Festival d’Aix-en-Provence, et sera diffusé sur France Musique le 1er avril à 20h00.
IF