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Chroniques
deux créations par le Quatuor Béla
Francesco Filidei | Notturno sulle corde vuote
Aujourd’hui démarre la septième édition de la Biennale de Quatuors à cordes, en ce début d’année qui voit la cohabitation de deux événements fort antagonistes : la naissance du site Musique nouvelle, qui souhaite dorloter un public rudoyé par « l’emprise intellectuelle et économique […] de musiciens revendiquant l’héritage de Darmstadt », et la disparition de Pierre Boulez, auquel on doit d’avoir fixé l’avenir plutôt que rapiécé le passé, en jouant la jeune génération, entre autres choses [lire notre chronique du 8 juillet 2006]. Outre l’intégrale des quinze quatuors de Chostakovitch (1906-1975) et la redécouverte de son ami Mieczysław Weinberg [lire nos chroniques du 24 juillet 2014, du 27 juin 2013 et du 8 janvier 2011], ce festival met d’ailleurs en avant des créateurs nés après-guerre : Manoury (1952), Leroux (1959), Filidei (1973), Mantovani, Robin, Staud (tous trois de 1974) et Verunelli (1979).
Première pièce au programme, Notturno sulle corde vuote est aussi le premier essai pour quatuor à cordes du Pisan Francesco Filidei. La formation est traditionnelle, mais les instruments réunis beaucoup moins : appartenant à la famille des Smartinstruments mise au point par l’Ircam, les violons, alto et violoncelle d’apparence classique ont des qualités acoustiques programmables, permettant des effets indépendants de l’interprète (rondeur variable, sourdine artificielle, etc.). Ouvrant sur des échanges délicats et frémissants, cette œuvre en un seul mouvement de vingt minutes gazouille ou vrombit en se colorant lentement, grâce à l’affirmation de la note. On rencontre alors de brèves figures qui disparaissent souvent vite, évoquant un temps ancien et peu identifiable d’emblée (Moyen Âge, folklore, etc.), avant le retour final d’un climat nocturne.
Respiration entre les deux créations de la soirée, le Quatuor en fa # mineur Op.108 n°7 (1960) de Dmitri Chostakovitch déploie ses trois mouvements en moins d’un quart d’heure. Le père de Katerina Ismaïlova [lire notre chronique du 18 octobre 2006] vit alors dans le souvenir de Nina Vassilievna, sa femme morte en 1954, torturé par des douleurs à la main droite et à l’aube de l’embrigadement par l’Union des compositeurs, à titre de secrétaire général. L’Allegretto initial, moqueur sinon clownesque, tourne en dérision toute tentative d’élévation. Plus pénétré et plaintif, le Lento installe une grande désolation, dénuée de pathos – y séduit la maîtrise des Béla, formation fondée en 2006 par Frédéric Aurier, Julien Dieudegard, Julian Boutin et Luc Dedreuil [lire notre critique du CD Isang Yun]. L’Allegro offre une valse dont l’élégance est entravée par des cahots désabusés.
Une dizaine d’années après Pour que les êtres ne soient pas considérés comme des marchandises où la sagesse amérindienne était évoquée [lire notre chronique du 5 novembre 2004], Philippe Leroux s’inspire aujourd’hui les pistes de ski d’une montagne située dans les Adirondacks (État de New York). Pour White Face (De la glisse), l’auteur de Voi(rex) [lire notre critique du CD] confie « explorer le principe de “glissé”, à la fois comme moyen de reconnaissance des limites de l’espace, comme générateur de directionnalité, comme élément d’articulation entre les sons, mais aussi pour explorer le simple plaisir de glisse ». Malheureusement, la pièce en sept mouvements peine à nous intéresser longtemps, certes virtuose mais comme empreinte de vacuité.
LB