Chroniques

par bertrand bolognesi

David Robertson joue Milhaud, Mozart, Bartók et Prokofiev
Emmanuel Ax et Yoko Nozaki (pianos), Orchestre national de Lyon

Cité de la musique, Paris
- 20 janvier 2004
Bruno Amsellem photographie le chef américain David Robertson
© bruno amsellem

Voilà déjà deux ans que la formation lyonnaise ne s’était produite sur la scène parisienne. On la retrouve dans un programme éclectique qui regroupe des œuvres de la première moitié du XXe siècle, ponctuées d’une récréative incartade mozartienne.

Pour commencer, La création du monde,écrit par Darius Milhaud pour les Ballets Suédois en 1923, plonge le public dans l’ambiance faussement nègre de ces années-là. Malheureusement, si, à leur habitude, les musiciens de l’Orchestre national de Lyon s’avèrent irréprochables, David Robertson donne une lecture plutôt terne et sans profondeur. C’est plat comme une figure posée sur une toile sans apprêt, ce qui est choquant de la part d’un chef qui donnait récemment un Mahler autrement soigné [lire nos chroniques des 12 avril et 26 septembre 2003]. Pour ce qui est des contrastes, ils sont bien de la partie, mais à la surface inerte d’une opaque marne vaseuse.

Le pianiste Emmanuel Ax gagne la scène pour donner le Concerto en sol majeur K.453 n°17 de Mozart. D’une grande précision, son jeu entretient une sonorité élégante, un brin feutrée, qui n’est pas sans annoncer Schubert. Discrétion et musicalité sont de mise pour une exécution de grande tenue. En revanche, les délices ne s’en laissent pas toujours goûter tant la direction de Robertson affirme de lourdeur – un choix de tempo nerveux transforme l’Allegretto en Ouverture de Rossini ! Cela dit, quelques beaux échanges des chefs de pupitres accusent délicatement le relief de l’écriture.

Dans le Concerto pour deux pianos, percussion et orchestre composé par Béla Bartók en 1943 à partir de sa Sonate pour deux pianos et percussion de 1937, le chef se montré plus attentif aux équilibres. Cette fois, les plans sonores sont mieux différentiés et les climats parfaitement réalisés. La désolation du deuxième mouvement se fait le meilleur moment du concert. La surprise est de taille à constater qu’avec des interventions pourtant sporadiques, les deux pianos se trouvent souvent couverts par l’orchestre : cela permettra de relativiser la déception rencontrée avec Mozart – je veux dire que si Ax, tout comme Yoko Nozaki, ont un petit son, l’orchestre ne peut pas non plus chuchoter sans cesse afin qu’on les perçoive.

La soirée s’achève avec la Symphonie en ré majeur Op.25 n°1 « Classique » de Sergeï Prokofiev. Dès les premières mesures, une certaine richesse de couleurs saisit l’auditeur. David Robertson montre un peu du meilleur de lui-même, avec une toile bien préparée. Si le premier mouvement demeure toutefois un peu brutal, le Larghetto est, quant à lui, parfaitement élégant, bénéficiant d’une louable finesse d’articulation. La tendresse définira le mieux sa lecture de la Gavotte. En revanche, le Final, pour « rouler tout seul », n’en est pas moins superficiel que le début du concert. Aussi vient-il annuler le plaisir des trois autres épisodes. De ce concert inégal, concluons que David Robertson aura tenté quelques moments de musique qu’il ne réussi guère à tenir. L’on reste sur sa faim.

BB