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Chroniques
cycle Gustav Mahler – épisode 4
Elizabeth Watts, Alexander Gavrylyuk
Initiée au début de l’année, l’intégrale Gustav Mahler par Alexandre Bloch et l’Orchestre national de Lille se poursuit, toujours selon l’ordre chronologique du catalogue symphonique du compositeur austro-hongrois, avec la Symphonie en sol majeur n°4, après les Première, Deuxième et Troisième [lire nos chroniques des 2 et 28 février, puis du 3 avril 2019].
Pour cet opus créé en 1901 qui compte parmi les plus souvent donnés de son auteur, on retrouve la vitalité juvénile du chef français dès le mouvement augural, Bedächtig, nicht eilen (Modéré, sans presser). La battue enthousiaste met en valeur la versatilité émotionnelle de la page, sans négliger la lisibilité des textures. L’économie et la transparence de la matière sonore éclairent la fugacité des ombres et des affects avec un instinct appréciable. Les foucades épisodiques de dramatisation n’échappent pas toujours à un excès d’hybris quant aux décibels, contrastant de manière un peu sèche avec une délicatesse que l’on pourrait aisément identifier comme viennoise. La balance entre la mousse orchestrale et la profusion sentimentale gagne nettement en équilibre dans le scherzo, noté In gemächlicher Bewegung, ohne Hast (Dans un tempo modéré, sans hâte). La prudence, sinon une certaine retenue, calibre le morceau à sa juste mesure, dans une sorte d’éther onirique, où Ayako Tanaka restitue, sans céder sur la trompeuse légèreté, l’ironie parfois mordante du violon solo – accordé un ton plus haut pour un effet dissonant, comme l’exige la partition.
L’homogénéité enveloppante, presque réconfortante, se prolonge dans la vaste méditation lente, Ruhevoll (Tranquille). Le travail sur la disposition des pupitres, renouant avec les usages originaux mais moins intuitif pour des instrumentistes d’aujourd’hui, en particulier les contrebasses en fond de plateau, porte ses fruits au fil du cycle. La douce pulsation de cet adagio soutient une pâte aérée, distillant un onirisme feutré, mais sans exagération de l’évanescence, qui assure une belle définition de la ligne mélodique. Le crescendo de la section centrale, sur un pas de valse plus allant, culmine dans un climax qui contraste un peu trop brutalement avec la ouate dont elle procède. Le filage, attaca, vers le final, Das himmlische Leben (La vie céleste), renoue avec une pondération plus équilibrée de l’énergie.
C’est dans ce Lied conclusif que la lecture d’Alexandre Bloch et de ses musiciens se révèle à son meilleur. Ici, la mobilité expressive de la page fourmille de volubilité, sans altérer une fluidité et un sens de la continuité formelle admirables, faisant affleurer la construction dramatique avec une naturel évident, jamais inutilement appuyé. Sur ce canevas tressé par l’orchestre, Elizabeth Watts déploie les multiples et subtiles inflexions d’un texte tendrement ironique et baigné d’un délicat halo de mélancolie. La théâtralité de jeu et de chant du soprano britannique, calibrée avec l’exactitude d’un instinct aussi fin qu’avisé, fait vivre l’ambivalence exquise de la partition – sans doute une des plus belles (et des plus complètes) interprétations récentes de ce finale de la Quatrième.
En première partie de soirée, la défection pour raison de santé de Nemanja Radulović, eut raison de la création que Benjamin Attahir, lequel achève sa résidence de compositeur à l’ONL, avait imaginée pour le violoniste serbe. Alexander Gravylyuk le remplace dans la Rhapsodie en la mineur sur un thème de Paganini Op.43 de Rachmaninov. La série de variations s’enchaîne de manière implacable, mêlant rythmes et couleurs jusqu’à des accès d’ivresse et de puissance. Virtuosité et décibels s’entendent à merveille dans cet apéritif roboratif qui console, à défaut de les combler, les attentes de création contemporaine initialement imprimées sur le programme de saison.
GC