Chroniques

par laurent bergnach

carte blanche à Péter Eötvös
Ensemble Intercontemporain

Orchestre Philharmonique de Radio France
Maison de Radio France, Paris
- 21 et 22 novembre 2014
Péter Eötvös joue sa musique à la Maison de Radio France (deux soirées, 2014)
© marco borggreve

Une semaine après la réouverture de ses locaux au public, la Maison de Radio France donne carte blanche à l’un des compositeurs les plus libres et attachants : Péter Eötvös. Grâce à cette heureuse initiative, on peut entendre l’artiste (septuagénaire depuis le 2 janvier dernier) diriger sa propre musique, d’abord à la tête de l’Ensemble Intercontemporain dont il était le directeur musical entre 1978 et 1991, puis au pupitre de l’Orchestre Philharmonique de Radio France.

Studio 104, au sol entièrement refait mais amputé de son orgue historique cédé à la cathédrale Notre-Dame de la Treille (Lille), la première soirée débute avec Steine (1990), hommage à Pierre Boulez conçu dans une visée pédagogique « afin d’exercer et d’aiguiser l’ouïe des musiciens, et de perfectionner leur capacité de réaction, dans un contexte polyphonique, au sein de divers ensembles instrumentaux » [lire notre chronique du 20 mars 2009]. Ici, en alternance ou en tutti, plusieurs des vingt-deux interprètes entrechoquent les pierres évoquées par le titre allemand, chef compris. La malice d’Eötvös n’est jamais loin, de même que son goût pour le rituel – qui n’a pas attendu la création de Три сестры (Trois sœurs, 1998) pour se manifester [lire notre critique du CD] –, confié à un musicien qui manipule des cymbales de taille décroissantes, à l’avant-scène.

Lorsqu’il parle d’opéra avec Aurore Rivals, le créateur de Der goldene Drache [lire notre chronique du 4 juillet 2014] confie : « la langue me donne le tempo. Je n’ai jamais écrit en hongrois car je possède la langue et je n’ai rien à découvrir. » Deux extraits dégingandés du Balcon, créé en 2002 mais depuis révisé [lire notre chronique du 20 novembre 2009], confrontent au français le mezzo Maria Riccarda Wesseling (Irma) et le soprano Rebecca Nelsen (Carmen). Si la seconde livre un chant plus projeté que la première, il est peu onctueux, et sans charme particulier. L’impression se confirme avec Octet plus (2008), pièce entre onirisme et revendication qui réunit la chanteuse américaine, un octuor de vents (grommelant à l’occasion) et la prose de Samuel Beckett (Embers).

Pour finir ce programme sous-titré Hommages (retransmis par France Musique le 29 décembre), Sonata per sei (2006) réunit trois percussionnistes, deux pianos et un synthétiseur dans une célébration énergique et colorée de Béla Bartók [lire notre chronique du 22 mars 2009]. Naïvement, peut-être, on y admire un talent à occuper l’espace musical avec si peu d’instruments, associé à une concentration rompant avec les pièces globalement aérées entendues juste avant.

Dialogues, la seconde soirée, permet non seulement de découvrir trois concerti en création française mais aussi l’Auditorium flambant neuf. Édifié sur l’emplacement des anciens Studios 102 et 103, il offre près de mille cinq cents places à l’entour d’une scène centrale, sur le modèle Philharmonie de Berlin, et une circulation du son maximum (confiée à l’ingénieur japonais Minoru Nagata). Disons d’emblée que nous sommes conquis par cette salle chaleureuse et boisée, dont l’acoustique n’a pas d’équivalent à Paris.

Sondant la percussion chère à Péter Eötvös, Speaking Drums (2013) met une nouvelle fois en vedette l’attrait pour le rituel et l’humour : jeune sauvage sur fond de cordes soyeuses, Martin Grubinger crie et frappe les instruments les moins conventionnels (casseroles, casque de chantier), gagne marimba et tambour à corde après un parcours de cymbales, ou fait s’envoler ses mains de la peau d’une timbale caressée. Tout en livrant une pièce luxuriante qui ne s’apprivoise pas d’emblée, le compositeur s’amuse également avec son Concerto grosso pour violoncelle et orchestre (2011) où grotesque et lyrique cohabitent sans problème. Jean-Guihen Queyras y dialogue avec ses confrères, de même que Midori au cœur du raffiné DoRéMi (2013), dans un duo de violons en clin d’œil à Bartók.

Après l’entracte, le programme s’achève avec les Notations 1, 7, 4, 3 et 2 de Pierre Boulez. Dans une musique qu’il retrouvera en avril prochain (Livre pour cordes, Rituel in memoriam Bruno Maderna), dans les murs alors tout aussi juvéniles de la Philharmonie de Paris, le chef hongrois fait preuve d’un certain moelleux, avec la complicité d’une salle qui limite la vibration habituelle des forte.

LB