Chroniques

par hervé könig

Bruckner et Mozart
Lars Vogt, Orchestre national de France, Robin Ticciati

Auditorium / Maison de Radio France, Paris
- 19 janvier 2017
Robin Ticciati dirige l’Orchestre national de France : Bruckner et Mozart
© giorgia bertazzi

En 1785, Mozart n’est pas encore trentenaire. Il vit à Vienne avec la jolie Constance et compose à toute vitesse un nouvel opus associant soliste et orchestre : le Concerto pour piano en ré mineur K.466 (n°20). Il le crée lui-même au clavier, en présence de son père, fort ému du talent qu’il y révèle. Robin Ticciati est à peine plus âgé que l’illustre Salzbourgeois. À trente-trois ans, le chef britannique d’origine italienne est déjà le directeur musical du Glyndebourne Festival et premier chef du Scottish Chamber Orchestra. À l’automne prochain, il succèdera à Tugan Sokhiev à la tête du Deutsches Sinfonieorchester Berlin. On peut donc affirmer que la carrière de celui dont notre rédaction salua les Strauss et Tchaïkovski [lire nos critiques DVD du Rosenkavalier et d’ЕвгенийОнегин] est bien lancée. Il retrouve aujourd’hui l’Orchestre national de France avec lequel il créait Aeolus–Re-turning III de Toshio Hosokawa il y a deux ans, dans notre bel Auditorium de la Maison de la radio [lire notre chronique du 7 janvier 2015].

C’est à Lars Vogt qu’il revient d’honorer ce concerto quasi opératique auquel Mozart n’eut pas le temps de concevoir une cadence – il en pleuvra, entre Beethoven, Brahms, etc., et même Vogt, puisque le soliste fait entendre sa propre contribution à la tradition virtuose classique. Avec un effectif restreint et des inflexions nettement puisées dans la récente expérience baroqueuse, Ticciati introduit l’Allegro dramatique à la ligne claire. Le piano fait une entrée nerveuse qui détache chaque motif comme au pianoforte. La précision des timbres est inimitable. La tension est maintenue, l’articulation ferme étant à peine rendu plus polie par une pédalisation très travaillée. Ce premier mouvement ne cherche pas midi à quatorze heures : il nous dit qu’il y a le feu et qu’on échangera des commentaires plus tard, l’urgence n’étant pas à badiner. Le relief et la grâce du jeu de Vogt livrent une interprétation théâtrale, quand surgit la cadence qui conjugue l’humour sombre de Beethoven, la rêverie de Mendelssohn, l’instabilité maladive de Schubert et quelques suspens haletant d’un Schumann. Il y a donc de la tourmente dans cette lecture-là. Le célébrissime Rondo central (Romanze) séduit par son élégance. La fièvre emporte l’Allegro vivace assai. Il s’assagit pourtant, observant sa forme naître. Et l’angoisse se tait vers la fin, dont on apprécie en particulier les cuivres. Pas d’effusion bruyante de la part du public, mais des applaudissements nourris qui ne faiblissent pas tant que Lars Vogt ne revient pas s’asseoir. C’est chose faite avec la tendre Valse en la bémol majeur Op.39, une des pages le plus célèbres de Johannes Brahms.

Jouant souvent Schumann, Wagner ou Mahler, Robin Ticciati ne néglige pas la production d’Anton Bruckner, comme en témoigne son enregistrement de la Messe en fa mineur n°3, avec les Bamberger Sinfoniker et le Chor des Bayerischen Rundfunks (paru chez Tudor). Alors que le compositeur était, pour une fois, assez satisfait de son travail, sa Symphonie en la majeur n°6, qu’il ne corrigea pas, contrairement à son habitude, connut des créations partielles, puis avec ses quatre mouvements par Mahler qui toutefois osa des coupures, enfin toute entière, mais plusieurs années après la disparition de son auteur. On remerciera tout de suite l’efficacité des violoncelles et contrebasses dans le Maestoso que détaille ensuite une petite harmonie en bonne santé, et notamment la flûte solo, quasi printanière. La battue s’engage sans regarder en arrière, emportant ce premier mouvement à l’encontre des mauvaises habitudes prises par de nombreux chefs. Le résultat est d’une limpidité qui fait plaisir. L’ostinato des cordes, d’une régularité parfaite, amène les motifs de trompette, exacts. On admire aussi la chaleur chorale presque religieuse des cuivres, qui vient délicatement s’opposer au da camera du violon. Pas d’excès de masse, dans les fanfares successives : plutôt que de céder au monumentalisme d’un Gatti ou d’un Barenboim (dans le son et le rubato), Ticciati cisèle son approche avec beaucoup de subtilité.

La tendresse de l’Adagio ne masque en rien la clarté de l’interprétation, où le hautbois se détache comme une voix d’opéra, d’une façon mozartienne, en fait. Un lyrisme crépusculaire investit les violons dans le thème suivant, parfois dans une nuance risquée que l’Orchestre national de France assure bravement. Saluons-en les trombones pour leur prestation idéale, introduisant l’aspect sépulcral de la fin du mouvement. L’élégance de la coda est remarquable – passons sur des cors un peu malhabiles. Le Scherzo arrive dans une tonicité piano, très articulée. Son apothéose ne pétarade aucunement. Quelques imprécisions des cors dans le Trio viennent nous réveiller de cet enchantement, malheureusement. Le retour du Scherzo opère avec une fermeté gaillarde. Le départ nostalgique du Finale séduit. Une grande tension habite l’exécution, mais deux choses manquent : des cordes plus soyeuses et une réalisation davantage impérative des parties de cuivres. Pour finir, Robin Ticciati se lance dans le gigantisme qu’il avait évité, et qui ne lui va vraiment pas. Dommage...

HK