Chroniques

par bertrand bolognesi

Bernard Haitink dirige l’Orchestre national de France
Gustav Mahler | Symphonie en ut # mineur n°5

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 30 juin 2004
le chef d'orchestre Bernard Haitink joue Mahler à Paris
© dr

Dans ce dernier concert de la saison parisien de l’Orchestre national de France, de même que pour la clôture de saison de l’autre orchestre de la radio [lire notre chronique du 14 juin 2004] nous retrouvons Vienne et Gustav Mahler, cette fois sous la baguette précise et calme de Bernard Haitink.

Après une sonnerie de trompette assez maladroite, la Symphonie en ut # mineur n°5 installe sa Trauermarsch dans un climat plutôt glacé, Bernard Haitink imposant une lecture claire d’une grande tenue – qu’on pourrait dire hiératique – à ce monument de la musique du début du siècle dernier (Mahler en dirigeait lui-même la création à Cologne en 1904). Rapidement, le thème des violons survient ; il s’avère ce soir d’une dignité absolue, sans épanchement, laissant naître l’infinie tristesse de la mélodie, comme détachée de l’orchestre, ponctuée par les pesants appels de cuivres. L’équilibre est sévère (c’est ce qui est indiqué, Streng, précisément), ne se laisse jamais aller à la théâtralisation, de sorte que l’arrivée du deuxième mouvement, nettement plus contrasté et aventureux, apparaît comme le véritable commencement de la symphonie dont nous aurions goûté une sorte de grave prologue jusqu’alors.

Haitink met magnifiquement en valeur le choral, atermoie à peine avant d’engager dans une élégance remarquable le long Scherzo central. De même que le compositeur a souvent puisé le matériau thématique de ses symphonies dans le recueil des Knaben Wunderhorn Lieder, il développa le bref Adagietto de sa Cinquième à partir d’un Lied écrit sur un poème de Rückert, Ich bin der Welt abhanden gekommen. Le chef néerlandais s’ingénie à insuffler tout le lyrisme de son interprétation dans cette page, d’abord mystérieusement sereine, puis vibrante, poignante et dramatique, dont Berg s’est sans doute souvenu pour l’un des thèmes de sa Lulu (dernière intervention de la Comtesse Geschwitz, puis Lied der Lulu de la Lulu Suite). Enfin, c’est au dernier épisode (Rondo : Allegro) qu’il réserve le plus impressionnant jeu de contrastes, profitant avec bonheur de la qualité de chaque pupitre de l’ONF, et articulant comme personne la triomphante fugue jusqu’à l’explosion du final.

Avant cette somptueuse Cinquième chaleureusement accueillie par le public venu en nombre avenue Montaigne, nous entendions les Kindertotenlieder par le baryton Matthias Goerne qui, à l’évidence, ne jouissait pas d’une forme tant éclatante que celle dans laquelle l’orchestre retentirait à sa suite. On lui reconnaîtra de grandes qualités de conteur (quelle diction !) qu’il utilise avec un moelleux tout personnel dans Nun will die Sonn’, pour une lecture intelligente, toute douceur. Mais attention : c’est parfois engorgé, les aigus ne sont pas sûrs – jamais pianississimo ne veut dire « sourd ». Nun seh’ ich wohl souffre d’une gestion difficile du souffle, donnant à penser que l’artiste subit aujourd’hui une fatigue passagère.

Précis au point de faire entendre le moindre tintement, Bernard Haitink construit une sonorité minutieusement colorée dès l’abord, mais doit ensuite retenir la véhémence de l’orchestre dans le seul souci de ne jamais couvrir la voix, si bien qu’au fil de l’exécution, l’expressivité se perd. Pour Wenn dein Mütterlein, c’est assez bienvenu : l’écriture chambriste de s’en trouve plus évidente. Mais c’est insuffisant dans le révolté et tempétueux In diesem Wetter final. Matthias Goerne ferme ce dernier Lied dans un s velours d’une délicatesse inouïe.

BB