Chroniques

par michel slama

Aleksandra Kurzak et Roberto Alagna
Orchestre de Picardie, Giorgio Croci

Les Grandes Voix / Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 9 janvier 2017
Aleksandra Kurzak et Roberto Alagna en récital avec l'Orchestre de Picardie
© dr

Le Tout-Paris musical est en fête, au Théâtre des Champs-Élysées, archicomble jusqu’aux loges de galerie, à l’occasion du premier grand concert lyrique de l’année 2017. Aleksandra Kurzak et Roberto Alagna s’y produisent ensemble devant un public particulièrement attentif et inflammable… Ainsi l’Introduction du Faust de Gounod qui précède l’arrivée du couple glamour, Il se fait tard, est-elle ponctuée d’un « taisez-vous ! » assené d’une voix de stentor par un spectateur mécontent du peu de concentration de certains aficionados du ténor franco-sicilien qui bavardent en l’attendant... Un peu plus tard, une injonction impérieuse sur le même ton à « cesser de jouer avec vos portables ». Comme quoi, ce public dit populaire peut être particulièrement susceptible et intransigeant. Pourtant, nos épousés veillent à ce que règne une ambiance bon enfant et n’hésitent pas à théâtraliser les scènes qu’ils ont choisies d’interpréter.

Le programme est franco-italien, comme aime à le proposer Roberto Alagna, en hommage à ses deux patries. En première partie, le duo de Faust laisse un peu sur sa faim, la jolie voix d’Aleksandra Kurzak, souvent couverte par l’accompagnement, ayant un peu de mal à trouver son envol, qui plus est dans un français peu intelligible, alors que son mari demeure inégalable dans notre langue. La faute en est sûrement imputable à un Orchestre de Picardie irrégulier parfois tonitruant (Giovanna d’Arco, Le roi de Lahore) et particulièrement indifférent pour Faust. À sa tête, Giorgio Croci, qu’on avait admiré dans le beau concert du duo il y a dix-huit mois [lire notre chronique du 22 juin 2015], n’arrive que difficilement à maîtriser l’instrument. En témoigne un Entracte scolaire de l’Acte III de Carmen (Bizet), pourtant d’un ennui moins mortel que le long prélude de Tu che le vanita, grand air d’Elisabetta dans Don Carlo (Verdi). Le soprano polonais y réussit pourtant une belle performance démontrant combien sa voix a évolué depuis ses débuts à Covent Garden de Londres dans L’elisir d’amore (Donizetti).

Après une Maria Stuarda (Donizetti) qui avait fait sensation ici-même [lire notre chronique du 18 juin 2015] et le remplacement au pied levé du soprano letton Kristina Opolais, l’été dernier à Munich, passant du rôle d’Eudoxie à celui de Rachel (La Juive d’Halévy), elle peut désormais s’attaquer à des rôles beaucoup plus lourds. Particulièrement musicienne dans l’air d’anthologie d’Adriana Lecouvreur de Cilea, Io son’ l’umile ancella, elle séduit un public en délire par son charme et son timbre envoûtant. Auparavant, Alagna impressionna vraiment par un Air de la meule, extrait du Samson et Dalila (Saint Saëns), d’une exceptionnelle perfection par la diction, l’émotion, la noblesse et la musicalité. Arrivé à ce stade de sa carrière, il est impensable qu’aucune scène ne lui propose ce rôle qui lui colle à la peau, alors que de nombreux théâtres proposent des Samson passables voire insuffisants, à commencer par notre opéra national. L’autre grand moment du ténor est l’incarnation de Cavaradossi dans le célébrissime E lucevan le stelle du troisième acte de Tosca (Puccini). L’ovation est parfaitement méritée, le ténor y étant à son zénith, irréprochable.

Pour les duos, le plus indispensable restera Gia nella notte densa extrait de l’Otello de Verdi où le ténor est dans sa vocalité actuelle et où Desdemona va à ravir à son épouse. On passera sur les deux duos français des Pêcheurs de perles (Bizet) et de Faust qui n’apportent rien à la gloire de nos tourtereaux. En revanche, celui de L’elisir d’amore (Caro Elisir) est inénarrable et burlesque, tant chanteurs et chefs s’y amusent et endiablent un public qui rit de bon cœur.

En bis, un étrange duo extrait de Die lustige Witwe (Lehár) où Roberto Alagna commence en français et Aleksandra Kurzak en polonais. Drôle d’Heure exquise… qui nous grise malgré tout par la beauté des timbres déployés. Puis, le Libiamo ne'lieti calici de La traviata (Verdi) et le public en standing ovation, ne voulant pas les laisser partir, une ultime reprise du duo de La veuve joyeuse.

MS