Chroniques

par jorge pacheco

Abdellah Lasri, Karen Vourc'h, Anne Le Bozec et Quatuor Parisii
création d’Élégie de l'amour obscur de Guillaume Connesson

œuvres de Gilbert Amy, Ernest Chausson et Olivier Messiaen
Festival Messiaen au Pays de La Meije / Église de La Grave
- 20 juillet 2012
le soprano Karen Vourc'h chante au festival Messiaen au Pays de La Meije
© dr

Engagé avec la mémoire mais aussi avec l'avenir, le Festival Messiaen au Pays de La Meije programme trois créations mondiales. Après la belle Orbitas du jeune compositeur Francisco Alvarado, qui attirait l’attention lors de l'ouverture, le onzième concert de cette édition donne le jour à l'Élégie de l'amour obscur de Guillaume Connesson.

En lever de rideau, le ténor marocain Abdellah Lasri, accompagné de la pianiste Anne Le Bozec, offre sa version de Serres chaudes, recueil de cinq mélodies d'Ernest Chausson sur des poèmes de Maurice Maeterlinck. Son timbre doux, qui semble combler l'espace sans le moindre effort, s'avère fort propice à cette musique d'une suave mélancolie. Abordée avec une certaine agitation, Fauve Las, quatrième mélodie du volume, paraît toutefois moins naturelle que les autres où règne une calme souffrance. En tout cas, la voix reste homogène dans le registre aigu et la diction, quoique mal desservie par l'acoustique résonante de l'église, est extrêmement soignée.

Cette huitième journée est aussi l'heure des retrouvailles : le soprano Karen Vourc'h [photo], Mélisande saluée il y a deux ans [lire notre chronique du 22 juin 2010], et les musiciens du Quatuor Parisii jouèrent ici le Livre pour quatuor de Boulez, en présence du compositeur [lire notre chronique du 5 août 2010], rejoignent Abdellah Lasri pour La mort du nombre, œuvre de jeunesse d'Olivier Messiaen, et La chanson perpétuelle de Chausson. Une terrible opposition entre les souffrances humaines et la paix céleste se noue entre la voix de Lasri, qui n'abandonne pourtant pas sa douceur, et celle de Karen Vourc'h dont la première intervention introduit une texture harmonique où, dans ce Messiaen de vingt-deux ans, on reconnaît pour la première fois le langage harmonique qui caractérise son style. L'œuvre n'est pas sans naïvetés, notamment dans le traitement un peu anecdotique du violon, limité à des interventions isolées, mais la puissance expressive du compositeur est déjà là.

La chanson perpétuelle, qui foisonne de belles harmonies langoureusement « françaises », témoigne aussi de l'influence de Wagner (l'accord-Tristan se laisse entendre fugacement) notamment dans ses élans dramatiques de longue haleine. L'interprétation de Karen Vourc'h est un prodige de délicatesse et d'expressivité. Sa voix se transforme selon les besoins de la partition pour passer d'une sonorité sombre à un timbre lumineux, en gardant toujours la même pureté.

Après cette visite aux classiques, la deuxième partie du concert est entièrement consacrée aux contemporains. Gilbert Amy est présent pour introduire l'exécution de son Quatuor à cordes n°2, qui porte le titre fort évocateur de Brèves et qui, comme ce nom l'indique, englobe six mouvements-miniatures qui ne dépassent pas les deux minutes [lire notre chronique du 19 mars 2004]. Le titre de chacune des pièces fait référence à un tempo et à une indication de caractère. La maîtrise du savant compositeur, autrefois directeur du CNSM de Lyon, se manifeste dans la naturalité avec laquelle il construit des textures basées sur les grands principes de l'écriture pour quatuor. Le quatrième mouvement, Mit zartestem Ausdruck, dont le titre rend hommage à Anton von Webern, est une merveilleuse trame harmonique où des entrées décalées construisent des sonorités opposées et donnent l'illusion d'une ligne mélodique virtuelle. Le Quatuor Parisii est solide, y compris dans les passages les plus délicats, ce qui est fondamental au succès remporté par la pièce.

Arrive le moment d'entendre Élégie de l'amour obscur pour soprano, piano et quatuor à cordes, de Guillaume Connesson, sur un texte de Yanovski. Sans lire la date de composition nul ne saurait affirmer que cette œuvre soit postérieure à celle d’Amy ; nul ne pourrait affirmer non plus la tendance ou le style elle se réclame. Nous y retrouvons une phraséologie propre à la musique tonale – on se sent, par moments, assez proche de Richard Strauss –, avec ses sections de transition, ses « commentaires » instrumentaux, ses résolutions harmoniques un peu « à l'eau de rose », parfois. Mais on ne niera pas que cette musique comporte quelque chose de nouveau, une étrange expression qui peut-être lui vient de l'orchestration. Même si elle paraît un peu « pâteuse », une texture instrumentale d'un grand raffinement conduit et renouvelle en permanence le discours expressif, sobrement tenu par Karen Vourc'h. Saluons par ailleurs le travail de la pianiste Anne Le Bozec qui possède un jeu exquis et suit le chant en lui laissant grande liberté.

Avec l'arrivée des ordinateurs pour la création de Partita II pour violon et électronique de Philippe Manoury, nous aborderons demain un autre aspect de la création musicale d’aujourd’hui. Avec lui se fermera le chapitre des premières du Festival Messiaen au Pays de La Meije, grâce auquel se rejoignent non seulement les esthétiques actuelles les plus éloignées, mais aussi la mémoire de l'œuvre intemporelle d'Olivier Messiaen.

JP