Chroniques

par bertrand bolognesi

portrait de Gilbert Amy en trois concerts

Théâtre du Châtelet, Paris
- 15, 17 et 19 mars 2004
© dr

Un grand merci aux Midis musicaux du Châtelet pour cette semaine qui aura permis, en trois concerts, d’appréhender les divers épisodes du chemin parcouru par le compositeur Gilbert Amy. En effet, si les premières notes à retentir étaient celles de son Étude-Variation pour piano, sous les doigts de Claire Désert, une œuvre récente et des retours en arrière judicieux ont montré d’où vient sa facture d’aujourd’hui.

Né à Paris en 1936, Gilbert Amy suit les cours de Darius Milhaud, Simone Plé-Caussade et Olivier Messiaen au Conservatoire, tout en étudiant le piano auprès d’Yvonne Loriod. Rapidement, ses premières compositions sont créées lors des rendez-vous les plus prestigieux de la musique contemporaine, comme Darmstadt, Royan, Venise et les Donaueschinger Musiktage. En 1958, Pierre Boulez lui commande Mouvements pour les concerts du Domaine Musical. Il lui succèdera en 1967, dirigeant les activités du Domaine pendant sept ans. Il développe parallèlement les carrières de créateur et de chef. Conseiller musical à l’ORTF de 1973 à 1975, il fonde le Nouvel Orchestre Philharmonique de Radio France en 1976 qu’il conduit cinq ans durant.

De cette première période datent Strophes pour soprano et orchestre, D’un espace déployé pour soprano, deux pianos et orchestre, Refrains, Triade, mais aussi le Mouvement pour quatuor donné vendredi par le Quatuor Parisii. Écrit en 1958, il est largement influencé par la redécouverte des travaux de l’École de Vienne qui marqua les années cinquante. On pourrait presque parler d’un « mouvement pour violoncelle soliste et trio à cordes aigus », une responsabilité que Jean-Philippe Martignoni assume d’une sonorité ronde et présente. Composés six ans plus tard (et créés par Claude Helffer), les Cahiers d’épigrammes pour piano portent également la marque d’une esthétique postsérielle : ils sont ici interprétés (mercredi) avec beaucoup de contrastes par Jean-François Heisser.

Arrive ensuite une période médiane durant laquelle la forme semble se libérer de certains prédicats. Le compositeur utilise volontiers la voix et les possibilités innombrables du grand orchestre. Pour aller vite, on dira que c’est sa manière durant les vingt dernières années du siècle. D’elle naissent Une saison en enfer (1981) et la Missa cum jubilo (quatuor vocal, chœur et orchestre, 1983). Tout en acceptant la direction du Conservatoire National Supérieur de Lyon, Gilbert Amy s’attèle à l’écriture de pièces majeures : Orchestrahl, grande forme commencée en 1985, terminée quatre ans plus tard puis révisée en 1995, ou encore Trois scènes, que l’Orchestre de Paris créera en 1996 et qui présente une partie du matériau utilisé par son opéra Le premier cercle. Adapté du roman de Soljenitsyne, cet ouvrage, marque la fin d’une période, celle de l’affranchissement et de l’affirmation, ou le début de la suivante.

Paul Meyer à la clarinette, Alessandro Moccia au violon et Jean-François Heisser au piano donnent (mercredi) En trio, une page de 1986 qui illustre assez bien ce style intermédiaire dans le parcours du musicien. On y redécouvre une nouvelle jouissance du son, déjà proche du lyrisme des années deux mille. Les interprètes en offrent une lecture précise nimbée d’une aura dramatique. Le Quatuor à cordes n°1 fut écrit en 1992 comme un work in progress et ne trouva son articulation propre qu’après coup. Il est encore plus net, avec lui, que l’écriture d’Amy renoue avec la mélodie. L’interprétation des Parisii (vendredi) s’avère soignée, minutieuse, et favorise un heureux rendu des textures de timbres. Cet opus demande une endurance particulière, avec ses rythmes tendus, la concentration du Modéré, la virtuosité du Presque vif, la violence de certains ostinati, etc., et l’on apprécie d’autant plus les quartettistes.

Le 13 octobre 1999 l’Opéra national de Lyon présentait la création mondiale du Premier cercle. Utilisant un instrumentarium particulier, capable d’évoquer un certain climat, tant géographique que politique et historique, se réconciliant une bonne fois pour toutes avec un lyrisme qui n’a plus peur de lui-même, cherchant une relative simplification de la pensée musicale tout en se gardant bien de la tendance au retour vers la tonalité, l’opéra ouvre la voie au Gilbert Amy d’aujourd’hui. Le mezzo-soprano Karine Deshayes donne (lundi) Tristesse, mélopée extraite de l’opéra, accompagnée par l’accordéon de Thierry Bouchet et l’alto de Vladimir Mendelssohn. Son interprétation replonge instantanément dans l’opéra. La mélodie en est magnifiquement portée, avec des ornements réalisés avec sensibilité, comme autant de spasmes et de sanglots, d’une voix avantageusement maîtrisée autant qu’attachante. Claire Désert joue Étude-Variation de 2001, pièce d’un comparable lyrisme dont l’écriture en plusieurs plans semblera presque orchestrale. Après une mélopée dotée d’effets de troisième main, de grands appels percussifs rappellent Messiaen, avant une sorte de stretto qui se précipite de plus en plus jusqu’en un dur ostinato. L’interprétation fait montre de caractère. Enfin, Vladimir Mendelssohn et Arnaud Thorette créent (lundi) D’ombre et de lumière pour deux altos (commande du Théâtre du Châtelet) dont la mélodie désolée rappelle Chostakovitch.

Autour de ce Portrait de Gilbert Amy, les artistes réunis pour l’occasion ont livré de fort belles lectures des Deux chants sérieux Op.91 de Brahms, des Cinq mouvements pour quatuor Op.5 de Webern et des Quatre pièces pour clarinette et piano Op.5 de Berg.

BB