Chroniques

par bertrand bolognesi

Хованщина | Khovantchina
opéra de Modeste Moussorgski

Opéra national de Paris / Auditorium Bastille
- 22 janvier 2013
reprise de Khovantchina de Moussorgski (Хованщина) à l'Opéra Bastille (Paris)
© ian patrick | opéra national de paris

La production qu’en 2001 signait Andreï Serban pour l’entrée de Khovantchina au répertoire de l’Opéra national de Paris est actuellement reprise lors d’une série de sept représentations, ouverte ce soir. Ainsi retrouvons-nous les décors stylisés de Richard Hudson, leurs harmonies de rouge, blanc, gris et or, qu’assurément le metteur en scène eut du mal à faire vivre. Considérées une par une (comme on feuillette un livre), les images illustrent assez justement chaque tableau sans dépasser cependant une littéralité de carton-pâte qui ne fait guère illusion. De même l’extrême codification des déplacements (le défilé des vieux-croyants du dernier tableau, par exemple) accuse-t-il une datation de l’épreuve nettement antérieure à sa création effective. Enfin, si la scénographie s’affiche « stylisée », disions-nous, encore est-ce dans un inexplicable encombrement du plateau (pourtant vaste).

Toutefois, la tentative de Serban n’est pas dénuée de qualités, loin s’en faut. Ainsi l’intrusive brume du prélude qui enveloppe la salle comme l’encens de l’église russe nimbe chacun avant le service religieux ; ainsi de l’omniprésence du feu comme indice narratif qui mène droit au dénouement ; etc. Mais de cela l’on se souvenait – et plus encore au regard d’autres réalisations appréciées depuis, dont celles de Stein Winge à Bruxelles, poétique en diable (osons), et de Dmitri Tcherniakov à Munich, d’une pertinence décapante. Parlons plutôt de ce qui change : les voix, l’orchestre.

Mikhaïl Jurowski, pour commencer, qui conduit la fosse dans la version révisée par Dmitri Chostakovitch (1959). D’une grande minutie, sa lecture révèle de nombreux détails et profite volontiers de l’écriture des bois, en particulier ; aussi ces pupitres s’avancent-ils glorieux, pour ainsi dire. Tout en soignant précisément timbres, échanges et traits solistiques, sa Khovantchina manque de relief et de drame, avouons-le. Seule l’emphase campanaire chère à Moussorgski parvient à relever par endroits l’expressivité qu’on en attend, mais cela suffit-il ? Peut-être une certaine prudence conduit-elle le chef à se trop peu risquer vers le théâtre.

Outre l’impressionnante prestation du Chœur de l’Opéra national de Paris, conduit par Alessandro di Stefano, une quinzaine de chanteurs, tous fort bien distribués, honore l’œuvre. S’en détachent positivement le jeune Vladimir Kapshuk (Strechniev), Iouri Kissin (Varsonofiev) et le Scribe de Vadim Zaplechny, sans oublier l’attachant Kouzka de Vassili Efimov, avantageusement projeté. Parmi les personnages « actant » d’importance, la présence fulgurante de Vladimir Galouzine livre un Andreï incandescent qui fait merveille des appels du cinquième acte (« où es-tu, ma toute tendre… »). Ferme, férocement solide, même, le timbre noir de Sergueï Murzaev l’impose en toute évidence en Chakloviti redoutable. À l’inverse, la clarté du ténor Vsevolod Grivnov sied parfaitement à un Golitsine flatteusement impacté.

Avec un aigu perçant à souhait, une voix proprement impérative, Marina Lapina donne une Susanna idéale. La « colombe » du jeune prince est incarnée par le soprano ukrainien Natalia Tymchenko, tandis que l’éternelle amoureuse Marfa gagne dans le chant de Larissa Diadkova (il y a douze ans c’était elle, déjà,) une profondeur qui fascine.

Deux basses couronnent cette distribution largement satisfaisante. Gleb Nikolsky campe un Khovanski de grande prestance, tant vocale que physique, d’une voix ample et souple à la couleur généreuse. Il donne à la dernière fête du vieux prince une superbe rare. Enfin, le jeune Bulgare Orlin Anastassov – par ailleurs captivant Godounov [lire notre critique DVD] – compose à trente-six ans un Dosifeï d’exception : la voix est facile, la couleur remarquablement expressive, l’impact homogène sur toute la tessiture, le phrasé luxueux et la présence scénique « brûle » les planches d’une singulière densité.

BB